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Quel charmant paysage, du commencement à la fin, que le premier tableau ! Charmant deux fois, antique et moderne, idéal et familier. En réalité, nous sommes là chez nous, dans un décor de chez nous, et que trois siècles n’ont pas changé. Mais en rêve, ou par le rêve, comme nous voilà loin dans le temps et dans l’espace ! L’écriteau du carrefour a beau porter des indications connues et prochaines : Versailles, Jouy-en-Josas, ce sont d’autres noms, d’autres horizons qu’évoquent la danse et la musique. Toutes deux elles nous emportent, elles nous font passer des environs de Paris, du département de Seine-et-Oise, à la Grèce, aux sommets du Taygète, bacchata Lacœnis ; elles mêlent des visions, des imaginations très différentes, et ce passage, voire ce mélange est délicieux.

Même impression, plus vive encore et plus profonde, au second acte. Avec le petit faune tombant de son panier en plein Versailles, il semble que toutes les forces, toutes les violences de la nature, et de la nature antique, fassent irruption dans une fête de cour, et de la cour de Louis XIV, pour en bouleverser l’appareil, l’apparat et l’apprêt. Il y avait ici l’occasion d’une véritable, puissante et croissante symphonie. Le musicien ne l’a pas manquée. Cela dépasse l’ordre et le style accoutumé de la musique de danse. Cela va plus loin et plus haut.

Il me plaît aussi, dans l’œuvre de M. Pierné, qu’à la sveltesse des formes sonores succède leur plénitude ; que la musique, après avoir couru, voltigé, se repose, qu’elle se détende et s’épanche largement. De telles effusions ne sont pas rares. La dernière est très belle. C’est plus qu’une « chanson de gestes, » c’en est un poème, et de gestes d’amour. Quant aux deux amants, Mlle Zambelli et M. Aveline, on ne dira certainement pas que « c’est comme s’ils chantaient. » Grâce à leur pantomime, à la symphonie et au chœur lointain qui l’accompagne, c’est peut-être mieux.

Dans son roman de Paule Méréy Victor Cherbuliez parle ainsi de la danse, et d’une danseuse dont son héroïne est la fille. « Une légèreté aérienne, une grâce enchanteresse… où se mêlait une sorte de mélancolie capricieuse, la sauvagerie charmante d’un être ailé qui a peine à s’apprivoiser avec la terre et qui médite sa fuite dans l’espace… Un rythme cadencé réglait tous ses mouvements ; par ses postures et ses attitudes, elle révélait à une foule émue le grand mystère des lignes onduleuses que connaissent les soleils et les oiseaux et qui échappe au vulgaire humain. »

On ne saurait faire un portrait plus ressemblant de Mlle Zambelli.