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ni moins) que les autres géométries fondées par Bolyay, par Lobatchewski, par Poincaré lui-même sur des postulats différents des premiers. À ce point de vue, toutes ces géométries sont également vraies, en ce sens qu’elles sont non moins logiquement et justement déduites les unes que les autres des prémisses qu’on leur donne comme bases. Ces prémisses ce sont les axiomes et les postulats qui, une fois posés, entraînent tout le reste. À cet égard, la question de savoir si l’une de ces géométries est plus vraie que les autres n’a pas de sens.

Mais cette question prend un sens très précis et très net lorsqu’on se demande laquelle de ces géométries idéales est la plus conforme au monde réel, la mieux adaptée aux objets sensibles[1].

On a cru longtemps que c’était la géométrie euclidienne, et Poincaré lui-même n’a pas entendu prétendre autre chose, lorsqu’il a dit que la géométrie d’Euclide est la plus commode. C’est qu’il croyait, avec toute la science classique, au dogme de la propagation rectiligne de la lumière, c’est qu’il ignorait le fait fondamental découvert depuis par Einstein, — et qui eût entièrement modifié sa manière de voir, — que la lumière ne se propage pas rigoureusement en ligne droite dans l’espace, mais qu’elle y est légèrement infléchie par la gravitation. Chacun sait comment ce fait prévu par la théorie de la relativité a été vérifié lors d’éclipses récentes du soleil et je n’y reviendrai donc pas.

Retenons-en seulement la conséquence que voici. Deux droites réelles situés dans un même plan peuvent-elles ne jamais se rencontrer ? C’est-à-dire deux rayons lumineux cheminant dans l’espace vide et dans ce que (pour chaque fraction de ces rayons) nous appellerons un même plan, peuvent-ils ne jamais se rencontrer ? La réponse à cette question est non, puisqu’en effet deux rayons parallèles sont déviés et déviés inégalement par la gravitation des astres et en conséquence finissent nécessairement par se rencontrer, s’ils restent dans le même plan (ce qui est la première condition de leur parallélisme).

Bref, pourvu qu’on le considère non plus dans le champ ridiculement borné des expériences terrestres, mais dans la vaste étendue céleste, l’univers réel n’est pas euclidien, mais riemannien. Le fait que la lumière ne s’y propage pas en ligne droite en est le signe, la preuve. On comprend alors le sens profond de l’expérience faite l’autre siècle par Gauss (avec des instruments malheureusement

  1. Les rapports nouveaux que la théorie de la relativité suggère entre la physique et la géométrie ont été exposés avec profondeur par Einstein lui-même dans une brochure la Géométrie et l’expérience, excellemment traduite en français par M. Solovine Gauthier-Villars éditeur).