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sans l’intermédiaire du monde extérieur, et c’est pourquoi, avant de discuter pour savoir si deux droites tracées réellement, objectivement dans un plan peuvent ou non ne jamais se rencontrer, il est nécessaire de préciser ce que c’est qu’une ligne droite réelle, qu’une ligne droite objective.

Si on exclut les expériences relatives aux axes de rotation qui pouvaient elles aussi servir à définir la ligne droite, mais sur une étendue pratiquement très réduite, qu’est-ce en fait qu’une ligne droite ? À cela Henri Poincaré a répondu il y a longtemps : « La ligne droite ne peut être donnée que d’une façon, comme le trajet d’un rayon lumineux. Je veux dire que les expériences toujours plus ou moins grossières qui nous servent de point de départ devront toutes être applicables au rayon lumineux et que nous devons définir la ligne droite comme une ligne pour laquelle les lois simples auxquelles le rayon lumineux obéit approximativement seront rigoureusement vraies. »

Cela chacun de nous le savait depuis longtemps, plus ou moins consciemment. Dans la pratique, chacun sait bien ce qu’il appelle une ligne droite : c’est la ligne que dessine l’arête d’une règle bien dressée. Comment sait-on qu’une règle est bien dressée ? En la plaçant devant l’œil et en observant que ses deux extrémités, lorsqu’on les vise, sont confondues par le regard qui voit confondus tous les points intermédiaires de l’arête. C’est ainsi que les menuisiers jugent qu’une planche est rabotée droit. Bref, nous appelons ligne droite dans la pratique la ligne que suit le regard du tireur entre le guidon et le cran de mire.

Tout cela revient en somme à définir la ligne droite, comme le fait Poincaré, par la direction d’un rayon lumineux.

On peut donc affirmer : pratiquement, la ligne droite est le chemin parcouru par la lumière dans un milieu homogène. Dire qu’un objet est droit, c’est dire que, dans un tel milieu, la ligne qui le délimite coïncide sur toute sa longueur avec un rayon lumineux.

Mais alors nous entrevoyons le moyen de trouver un critère expérimental qui puisse départager le conflit qui surgit tout à l’heure entre le riemannien et l’euclidien, je veux dire entre le savant qui soutenait que la vraie géométrie est celle de Riemann et l’autre pour qui c’est la géométrie d’Euclide.

Ici une parenthèse. Il est certain que dans le monde idéal et purement formel de la géométrie pure, la géométrie d’Euclide et celle de Riemann sont aussi vraies l’une que l’autre et aussi vraies (ni plus