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petite dactylo qui veut faire la fête, se fait enlever par le patron, passe sa lune de miel à Monte-Carlo, y retrouve un lord qui l’avait remarquée dans son bureau, perd son amant qui meurt d’un refroidissement (il l’épouse à son lit de mort) après une romantique promenade nocturne, et revient enfin à Londres, en veuve digne et inconsolable, pour mettre au monde son enfant. Je ne dis pas que cette histoire soit impossible ; je ne dis même pas qu’elle soit plus niaise qu’une autre. Le malheur, c’est que tout y est faux : faux cynisme, faux caractères, fausse poésie, fausse sentimentalité. Tout est en simili. C’est un scénario de cinéma.

Faut-il croire que les genres littéraires s’épuisent ? L’immense production romanesque de l’Angleterre contemporaine ne peut faire illusion sur sa stérilité. Après deux cents ans de génie, depuis le temps de Daniel de Foë et de Richardson, de Fielding et de Walter Scott, de Dickens et de Thackeray, il est naturel que le roman anglais se fatigue. Si l’on compare les livres de M. Arnold Bennett à ceux de ces grands « victoriens, » qu’il méprise, on verra que la pire convention ne consiste pas à s’interdire certains sujets ou à observer un certain nombre de bienséances morales. C’est en vain que le roman anglais se flatte d’avoir conquis les licences françaises : il se meurt de n’être plus qu’une formule vide, et de l’impuissance à saisir la réalité.


LOUIS GILLET.