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aux rues du voisinage, lui semble diabolique par son inexorable régularité. Il attend chaque coup avec colère, et vite se dépêche d’essayer de perdre conscience, avant que le coup suivant vienne le réveiller ; et cela dure jusqu’au jour, à l’heure où les bruits confus de la vie viennent noyer le bruit solitaire de l’infernale machine. Mais une nuit, M. Prohack ne peut pas fermer l’œil, car, par une malice inouïe, cette coquine d’horloge s’obstine à ne pas sonner, et sa victime hors d’elle-même pense en faire une maladie. Le malheureux millionnaire apprend enfin que c’est sa fille qui, au risque de vingt contraventions, s’est glissée dans le clocher pour arrêter la sonnerie.

L’histoire est un peu longue, encore qu’amusante. Mais là-dessus on se demande : « Où diable ai-je lu cela ? » Eh ! parbleu, c’est la fable le Savetier et le Financier :


Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme,
Et reprenez vos cent écus...


Et cela suffit pour juger le nouveau roman de M. Bennett. Ce livre est une charmante satire des inconvénients de la fortune, dont toute la morale tient dans le vieux proverbe : « L’argent ne fait pas le bonheur. »

Sans doute, les petites misères de la fortune, les « embarras d’argent, » comme un homme d’esprit l’a dit d’un de nos contemporains accablé d’un subit héritage, sont un spectacle consolant et propre à nous faire prendre nos maux en patience. C’est la revanche des pauvres gens de pouvoir s’égayer aux dépens des heureux. Cela vaut mieux que de se plaindre. Mais quel rapport ce conte de fées a-t-il avec le monde présent ? Où est ici l’histoire des mœurs ? Où est le roman du nouveau riche ? Il se trouve que M. Prohack, excellent fonctionnaire des Finances, hérite brusquement d’un oncle d’Amérique : c’est une aventure moins commune qu’on ne se l’imagine, mais qui n’est pas moins vraisemblable que celle d’un concierge qui tirerait le gros lot. Mais en quoi ce hasard, toujours rare, mais toujours possible, est-il particulier au temps où nous vivons ? Qu’a-t-il de caractéristique des mœurs contemporaines ? On trouve de telles aventures dans les Mille et une Nuits.

Bien entendu, le « nouveau riche » n’est pas un phénomène particulier à notre siècle. Le mot se trouve déjà au temps de la Régence. Turcaret est un « nouveau riche. » Il y a eu des