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LA COLLABORATION PATRONALE ET OUVRIÈRE EN FRANCE

En France, de tout temps, il s’est trouvé des patrons qui ont cherché à entretenir avec leurs ouvriers des relations d’homme à homme, non seulement parce qu’ils les regardent comme avantageuses au bon fonctionnement de leurs entreprises, mais parce que cette attitude répond à l’élévation naturelle de leurs sentiments et à leur conception du devoir social. Dès 1885, M. Léon Harmel, animé d’une foi chrétienne ardente qu’il faisait passer dans ses œuvres, avait institué dans ses filatures du Val-des-Bois un Conseil d’usine pour les hommes et un Conseil d’atelier pour les femmes. Ces Conseils, qui se réunissaient avec les patrons régulièrement tous les quinze jours, avaient dans leurs attributions les questions de discipline, l’organisation du travail, l’apprentissage, l’hygiène, les salaires.

Nous trouvons à l’autre bout de la France des institutions analogues. A Grenoble, M. Régis Joya et ses deux collaborateurs principaux, MM. Romanet et Mayet, convaincus que les progrès de leurs établissements industriels sont liés au développement des organisations sociales qu’ils ont créées, ne cessent pas d’étendre celles-ci. En janvier 1910, ils ont fondé un Conseil d’usine. Il a un triple objet : resserrer les liens d’amitié qui unissent les ouvriers, les employés et les patrons ; étudier en commun tout ce qui peut amener une plus grande prospérité ; initier les ouvriers à la marche générale des affaires de la maison.

En plus des directeurs, peuvent assister aux réunions, sans qu’il leur en soit fait une obligation, l’ingénieur en chef du bureau des études, le chef de la comptabilité, le chef de la main-d’œuvre, le chef des ateliers, les contre-maîtres, tous les ouvriers ou manœuvres ayant plus de vingt ans de présence ininterrompue dans l’usine.

Aux usines Joya, on ne veut donc pas d’un Conseil d’usine nommé par élection. Pourquoi ? Parce qu’il ne serait que l’émanation « des groupes soi-disant ouvriers, étrangers à l’atelier. Sous l’influence des meneurs qui s’attribuent le privilège de conseiller et de diriger la classe ouvrière, les élus ne seraient pris en général que parmi les semeurs de division, beaux phraseurs, petits faiseurs, mécontents par principe, de moralité et de mœurs plus que douteuses, considérant le patron