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Inutile d’insister sur l’exposé de cette thèse ; elle est en quelque sorte classique. Il importe pourtant de distinguer et de définir. En quoi consiste cette cogestion que demandent les ouvriers ? S’agit-il des règlements d’ateliers, des salaires, des méthodes de travail, de la discipline, de l’apprentissage, de l’administration commerciale ou financière de l’entreprise ? Cette énumération sommaire montre qu’il y a bien des degrés dans le contrôle revendiqué.


L’EXPÉRIENCE RUSSE

En Russie, on est allé du premier coup jusqu’à l’extrême. L’idée de Lénine [1] était de faire passer la direction des entreprises aux mains des ouvriers, appelés à donner au régime économique la forme idéale rêvée par les communistes. Le Gouvernement provisoire avait déjà amorcé le mouvement en créant des comités ouvriers ; leurs pouvoirs étaient assez limités, mais souvent ils s’efforçaient de prendre la direction des usines à la place du patron. Le décret sur le contrôle ouvrier qui fut publié le 27 novembre 1917, c’est-à-dire trois semaines après l’avènement des bolchévistes, a légalisé ce qui n’avait été jusqu’alors que l’action occasionnelle de quelques groupements. Il rendait obligatoire la création des commissions ouvrières de contrôle et étendait leur compétence à la production, à la vente, à l’établissement du prix de revient et à la gestion financière. Leurs décisions avaient un caractère exécutoire à l’encontre des propriétaires de l’entreprise. La responsabilité de ceux-ci se réduisait à fournir les capitaux nécessaires à la marche de l’affaire, c’est-à-dire à les mettre à la disposition de la commission ouvrière.

Ce fut aussitôt la désorganisation complète de la production et l’élévation des prix de revient à un taux que l’on n’aurait jamais cru possible. Conséquences forcées de l’anarchie.

Pour essayer de remédier au désordre, le Conseil supérieur de l’économie nationale crée alors des organes de centralisation, chargés de régler et de coordonner l’activité des entreprises privées. Au contrôle ouvrier est substituée la gestion ouvrière ; elle se traduit par une administration centralisée à l’excès. Puis, à la fin de juin 1918, la nationalisation générale de toutes les entreprises est décidée. Cette mesure n’a d’ailleurs pas pour objet

  1. Sur l’évolution du contrôle ouvrier en Russie, voir Zagorsky, la République des Soviets. Payot, 1921.