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le pic se dégageait, je voyais pendre dans la verdure, comme des cordes de métal souple, les rails brillants du funiculaire. En bas, au bord de la ville, s’éclairait la mer, que les rayons frisants du couchant faisaient paraître presque bleue. Près de moi, les grandes fleurs rouges du poinsettia éclataient en puissantes fanfares dans l’air humide, un banyan lâchait toutes ses béquilles, deux arbres, un peu plus loin, l’un peuplé de fleurs jaunes, l’autre de fleurs mauves, ressemblaient à deux filets de feuillage dans chacun desquels on eût fait prisonniers tous les papillons d’une espèce. Les Anglais ont reboisé les pentes de l’ile, et, pour qui sort des paysages râpés de la Chine, il y a un soulagement et une jouissance à revenir à une nature plus luxueuse. Des villas étendent sur la montagne leurs façades blanches et oisives. Des sous-officiers corrects, des Marines passent, la badine à la main, de ce pas égal que rien ne distrait et qui traverse indifféremment toutes les villes du monde. On entend les voix fraîches et aériennes, insensibles de jeunes femmes anglaises : elles apparaissent, et, soudain, après tant de mois passes parmi les « tètes noires, » le regard rapatrié aperçoit, étreint, adore une blonde.


LE RETOUR

Le voyageur qui, d’Extrême-Orient, revient en France, ressemble à ces oiseaux qui ne peuvent regagner leur nid qu’en passant devant les chasseurs. A chaque escale, il sent l’atteinte d’un monde. L’Inde lui décoche d’abord sa flèche fleurie, l’Afrique, ensuite, son trait long et nu. En remontant la Mer-Rouge, il aperçoit une désolation sereine, des falaises roses presque incorporées à l’air et comme peintes sur de la gaze, un paysage incandescent fait pour donner à l’esprit le délire de l’unité. Enfin l’on arrive à la petite Méditerranée. Le navire, encore engourdi, est soudain saisi, empoigné par la mer dansante. Un cap surgit nettement, tout aspire à se définir. Alors le voyageur se sent partagé entre les deux mondes. Celui qu’il quitte le retient encore avec ses philtres, ses charmes, ses perspectives indéfinies, sa sagesse mêlée au délire, et, au delà de ses dieux luxuriants, de ses fièvres et de ses terreurs, son profond sourire qui apprend que tout est vain. Mais le vent, par ses salves de trompettes, annonce l’Occident étroit et précis, le