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carrés comme des caisses, ayant un chiffon pour voile, la griffe d’une ancre ouverte à l’avant, traversent en tous sens, et l’on voit dans chacun toute une famille, un paquet de gens, dont les visages jaunes ne se distinguent pas de leurs loques. La ville finit sur les quais par des maisons uniformes, que des rues droites divisent en gros pâtés réguliers. Les nuages pluvieux cachent le sommet de l’île, traînent et descendent jusqu’à la mer. Parfois ils se relèvent par endroits et découvrent d’une façon incomplète et théâtrale, au-dessus du grouillement du port, un des aspects de la ville haute, un palais blanc, sur la pente, oisif entre les arbres. Plus loin, dans le port militaire, sont mouillés les bateaux de guerre qui servent de porte-respect à tout ce trafic. Ce sont de petits croiseurs, dont les formes simplifiées, semblent, même au repos, annoncer la rapidité, lévriers de la meute que l’Angleterre lance sur les mers. Parfois la France sent, elle aussi, le besoin de se faire représenter par un bateau : on voit alors se hisser lentement sur l’horizon, après qu’un nuage de fumée y a longtemps plané, une silhouette confuse et découpée comme celle d’un château-fort, et enfin arrive un croiseur poussif qui naviguait déjà, il y a quinze ans, dans les mers de Chine. Son équipage est excellent, ses officiers pleins de zèle et de goût pour leur métier, tels qu’il n’en est pas de meilleurs dans aucune marine ; mais on conçoit qu’ils soient peu encouragés, d’avoir à se montrer sur un pareil piédestal. Rien, pourtant, n’est plus important que le choix de ces navires. Ils sont non seulement les signes de la force d’un pays, mais les enseignes de son industrie ; ils ressemblent à l’image d’elle-même que chaque nation envoie aux autres. On souhaiterait que les portraits de la France fussent plus beaux et plus ressemblants.

Hong-Kong, étagé sur la pente, semble traduire aux yeux la hiérarchie que les Anglais ont établie là où ils dominent. En bas fourmille la population chinoise, les enfants sans nombre, les femmes habillées de noir, un mouchoir noir sur la tête, et dont on a plaisir à voir, dans des sandales de paille, les pieds nus exempts de mutilation, beaux, un peu forts, d’une couleur de marbre jauni, comme ceux des paysannes italiennes. Au-dessus s’étend la ville des hôtels et des affaires. Enfin l’on arrive à la ville haute dont les jardins touchent à la forêt. Au moment où j’y parvins, à la fin de l’après-midi, les nuages se soulevaient,