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charme, on sait qu’il a le même principe que celui qu’on pratique ici aujourd’hui encore. Dans une salle, au bout d’une longue table, brille un monceau de sapèques de métal blanc, trouées en leur centre. Le moment venu, un Chinois distrait, assis devant elles, en écarte un tas plus petit, qu’il recouvre aussitôt d’une coupe de métal. Lorsque les jeux sont faits, il ôte la coupe et, du bout d’une longue épine, commence à chasser les sapèques quatre par quatre. Il arrive que le compte tombe juste, ou qu’il en reste une, deux ou trois. C’est sur l’une de ces chances que les joueurs ont risqué leur mise.

Au premier étage, autour d’un balcon suspendu au-dessus de la table de jeu, s’asseoient les personnes qualifiées. On leur apporte du thé, des cigarettes, et elles pointent les coups, en croquant des graines de citrouille. Quand leur choix est fait, un petit panier descend au bout d’une ficelle avec leur argent, tandis qu’une voix glapissante annonce sur quel nombre il doit être risqué. J’ai vu là des femmes grasses et petites, en veste et pantalon de soie noire ; un vieillard à côté de moi, maigre et replié, la paupière lourde, avait cette élégance interlope qui distingue aussi, dans nos casinos, les vieux parasites du jeu, les vieux courtisans de la fortune. En bas, les pauvres gens se pressent, debout. Ils entrent, observent le jeu un moment, serrant dans leur poing les quelques piécettes durement gagnées qu’ils espèrent multiplier par une faveur de la puissance obscure. Soudain ils se décident, leur bras se détend, pousse leur enjeu. Le croupier, au bout de la table, a toujours son air ennuyé, dormant. Il découvre enfin l’amas de sapèques qu’il a mises à part, et commence à les compter sans hâte, quatre par quatre. Tous font silence. C’est à peine si, à la fin, lorsque le résultat peut être prévu, un faible murmure court parmi les assistants. Le point annoncé, ils ne disent mot. Ce n’est pas l’élégante impassibilité des joueurs du premier étage, mais plutôt une soumission muette au hasard, l’adoration d’un dieu écrasant par des misérables.


HONG-KONG

Voici Hong-Kong, la force anglaise, l’ordre anglais. Dans le port, des jonques passent comme des vaisseaux d’autrefois, le long des grands courriers qui relient les mondes. Des bateaux