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leurs jolies couleurs, et l’une d’elles, la Santa Casa della misericordia, est d’une élégance presque galante, avec ses murs saumonnés relevés de filets blancs. Partout on retrouve la facilité, l’ampleur un peu creuse qui distingue l’architecture de l’Europe méridionale. Une église blanche et bleue, au haut de la ville, est contournée comme une commode ; les bâtiments du séminaire y sont attenants, et je les ai parcourus sous la conduite des Pères portugais, à figure de gentilshommes, qui m’y ont accueilli avec la courtoisie la plus délicate. Cependant, de tous les points élevées de cette ville peinte, on aperçoit à l’écart une façade sombre et renfrognée, appuyée au ciel : c’est ce qui demeure de la première cathédrale, construite au XVIe siècle et dévorée par un incendie. Vue de près, elle ressemble au frontispice singulier de quelque vieux livre. On y voit en bas-relief d’étranges figures, le soleil et la lune, un squelette, le diable, la fontaine et le palmier. Une caravelle y fait pendant à la bête de l’Apocalypse. Un grand Saint-Esprit de bronze, qui a l’envergure d’un oiseau de proie, s’éploie au fronton. Quatre statues d’une noirceur concentrée, d’une sévérité militaire, se dressent au premier étage : ce sont saint François Xavier, saint François de Borgia, saint François Régis, saint Ignace. C’est à Macao que les Européens prirent pied d’abord, et qu’ils s’accrochèrent. Les missionnaires français débarquaient ici, puis, quand ils avaient à grand peine obtenu de l’évêque portugais la permission d’aller plus avant, ils se glissaient à travers la Chine, et commençaient leur voyage d’anguilles, se cachant le jour, cheminant la nuit, jusqu’à leurs chrétientés éloignées. Macao était alors un grand port ; Hong-Kong l’a supplanté depuis, et cette petite ville à l’air si paterne, à l’aspect de sous-préfecture exotique, ne subsiste plus que comme une capitale des passions humaines. Ce qui se dissimule ailleurs se déclare ici sans pudeur : les fumeries d’opium laissent pendre tranquillement leur enseigne au bord des rues, et l’on voit, si l’on entre, les logettes contiguës et les lits ascétiques où les fumeurs viennent s’étendre pour goûter la volupté du poison. Quant aux maisons de jeu, elles remplissent des quartiers, qu’elles illuminent chaque soir. Tous les Asiatiques sont joueurs, et particulièrement les Chinois, et plus que les autres les Chinois du Sud. Déjà, dans le Râmâyana, les parties de dés passionnent les héros, et sans qu’on connaisse exactement les règles du jeu qui les