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de force qu’ailleurs. Les jeunes Chinois dont l’influence y domine viennent pour la plupart des Etats-Unis et il n’y en a pas de plus disposés à tout bouleverser. Au bord de la rivière, de hautes maisons modernes surgissent. Les remparts ont été rasés. Pourtant le bloc de la vieille ville subsiste, découpé par d’étroites rues si resserrées qu’elles gardent quelque chose d’intérieur et ressemblent aux corridors infinis d’un palais immense. Dans cette ombre sourde éclatent des tas de légumes ; des carpes, fendues en deux, que leur sang borde d’un filet rouge, baignent dans un peu d’eau au fond d’un baquet ; sous un treillage on voit l’enroulement de ces gros serpents dont les Chinois se régalent. Des peintres de portraits funéraires exposent, sur les bords de la foule, des visages aussi impersonnels que ceux des passants. Parfois, dans ce peuple aux couleurs ternes, s’introduit et serpente une brève cavalcade, des garçons et des fillettes habillés en princes et en princesses de théâtre, montés sur de petits chevaux blancs ou bais. On aperçoit un instant, sous les pompons et les houppes, leur minois fûté et fardé, et ils semblent, en s’en allant, emporter la lumière de ces promenoirs. Soudain, comme si alors seulement on arrivait dehors, on débouche sur de larges et pauvres boulevards, et tout le pittoresque intime et privé de la vieille ville se perd, comme par une saignée, dans ces avenues incolores.

Là, tout est moderne et vulgaire. Dans ce pays du plaisir discret, tourne, bête et incongru, un manège de chevaux de bois. Les plus hautes bâtisses, sur les quais, sont des bazars qui élèvent chaque soir leur illumination inutile. La fabrication industrielle les encombre de ce qu’elle produit de plus plat. Cependant tout le monde s’y fournit, jusqu’au naïf lama venu de très loin qui, sans se douter de son imprudence, rapportera dans son couvent gardé par les neiges un petit objet plein d’un esprit hostile et meurtrier. Les ascenseurs montent et descendent, les phonographes nasillent et braillent, tout un peuple de badauds erre au hasard dans ces lieux fades où l’Orient se dédore.

Même dans les vieilles rues, il ne subsiste presque plus rien qui garde du caractère. On peut visiter toutes les boutiques d’éventails, sans en trouver un seul qui puisse amuser les yeux. Quelques petits métiers survivent à peine, comme les lumignons d’une illumination qui s’éteint. J’allais souvent dans une échoppe où un jeune homme fabriquait, avec un peu d’étoffe et