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à la jeunesse chinoise ; j’ai dit avec quel soin ceux-ci étaient observés. S’il est une chose intéressante pour un professeur, c’est de se produire dans cette lumière, où il est sûr qu’aucun de ses efforts ne passera inaperçu. Les élèves chinois demandent beaucoup à ceux qui les instruisent, mais, si leur attente n’est pas déçue, ils s’attachent à eux très étroitement. Cette piété de l’étudiant pour le maître est un des sentiments les plus forts en Extrême-Orient, un de ceux dont la France pourrait tirer le plus de parti. Je me souviens d’un colonel japonais que je connus à Tokio, petit homme alerte et sec, plein d’empressement et de courtoisie. Jeune officier, il avait étudié à notre école de guerre et je n’eus pas de peine à m’apercevoir de l’impression profonde qu’avait laissée en lui la valeur professionnelle et morale de certains de ses maîtres. Un jour que nous parlions du maréchal Pétain, il m’apprit avec une sorte d’orgueil qu’il l’avait eu pour professeur :

— Oui, me dit-il, presque en murmurant, si vous rencontrez le maréchal, vous pouvez lui parler de son petit élève...

Il termina la phrase en disant son nom, et son visage, d’habitude net et précis, était troublé d’une légère émotion, comme un diamant terni par une buée.

Je me rappelle aussi le ton convaincu dont le père Henry, le jeune et charmant recteur de l’Aurore, me vantait les qualités, les vertus mêmes de certains des jeunes Chinois qu’il avait connus à l’Université, et ce que le confucianisme leur donne de tenue, de discrétion, de délicatesse exquise. C’est au point qu’on s’étonnerait que ces jeunes gens n’eussent pas doté leur patrie du personnel qui lui manque, si l’on ne se souvenait qu’ici, plus encore qu’en d’autres pays, la politique a réussi, par son impureté même, à se préserver de l’intervention des meilleurs. On respire à l’Aurore cette allégresse qui règne parmi des hommes qui se vouent à une œuvre et qui croient en elle. Mais il faudrait que l’Université s’étendit ; les plans des nouveaux bâtiments sont prêts, on trouverait d’autres professeurs : c’est l’argent qui manque. Les Français, en Extrême-Orient, et surtout les missionnaires, sont habitués à suppléer à cette pénurie par un effort de l’âme et un surcroît de travail ; mais il est un point qu’on ne saurait passer. La science moderne impose l’emploi d’appareils coûteux et les Chinois ne croiraient pas à la valeur d’un enseignement privé de pareils moyens. Le Gouvernement français a