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Japon. Le Japon est condamné à l’impérialisme par les conditions mêmes de son existence. Sa population augmente très rapidement, il faut bien qu’elle déborde. Les Japonais, d’autre part, sont une race délicate : ils ne s’accommodent ni du climat trop rude de la Sibérie orientale, ni de la chaleur malsaine de Formose : la Corée même leur réussit mal. La Chine seule leur convient, et ils ne peuvent pas, non plus, trouver ailleurs les mines nécessaires à leur industrie, ni les marchés qu’il faut pour la faire vivre. Occupés à y répandre leur influence, la dernière guerre leur a offert une chance inouïe de la développer sans obstacle : aucune Puissance européenne n’était en état de les contrarier, et les Etats-Unis eux-mêmes ont paru reconnaître leur prédominance. Après s’être emparés de Kiao-Tcheou et du Chantong, la ruine de l’Empire russe leur a permis de s’étendre dans toute la Sibérie orientale, et d’y introduire, comme en Chine, leurs marchandises, en les soustrayant aux droits qui frappent celles des autres pays. En janvier 1915, ils présentèrent en secret au Gouvernement chinois la liste, fameuse depuis, des vingt et une demandes, qui ne tendait à rien de moins qu’à mettre la Chine en leur pouvoir. Ils revinrent à la charge par l’ultimatum du 5 mai 1916, qui fut accepté pour les quatre cinquièmes et où ils se sont réservé le droit de procéder seuls à la réorganisation de l’armée chinoise. Ils ont surtout profité de la misérable condition du Gouvernement de Pékin, ne le sauvant de ses embarras que pour le garder à leur merci, et les emprunts successifs qu’ils lui ont consentis ont eu pour gages toutes les ressources de la Chine. Ils corrompaient d’autre part les individus, pensionnaient les députés et, renseignés sur les besoins des fonctionnaires, savaient toujours comment gagner ceux qu’ils voulaient mettre dans leurs intérêts. Ils ont jusqu’à présent favorisé la discorde du Nord et du Sud, et, quand Yuan Cheu Kaï essaya de fonder une dynastie, leur opposition fut la cause directe de son échec. Mais, comme une anarchie complète ne servirait pas non plus leurs desseins, il n’est pas impossible qu’ils favorisent la restauration d’une ombre de pouvoir. Les Blancs d’Extrême-Orient, sans cesse frôlés par les menées de cette politique, dont ils sentent l’activité sans arriver à en démêler les combinaisons, parlent du Japon un peu comme on parle du diable et attribuent pêle-mêle tout ce qui survient à ses profonds calculs. En réalité, les Japonais seraient ici les plus