Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/847

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

instants qui ont suivi la fuite honteuse du Grand-Duc. Mais qu’il me soit permis de dire que nous ne sommes pas responsables entièrement de la fausse direction suivie alors. Votre Altesse se rappellera que, lorsque je lui annonçais le mouvement populaire de Florence, j’ajoutais que nous avions l’intention, à défaut d’annexion immédiate, de proclamer la dictature du roi Victor-Emmanuel. De Paris, Votre Altesse se hâta de me répondre : « Pas de dictature, un gouvernement provisoire. » Quoique les gouvernements provisoires partout, mais en Italie surtout, soient d’assez tristes institutions, nous avons suivi les conseils de Votre Altesse et établi un gouvernement provisoire. Dieu sait comment ce malheureux gouvernement a fonctionné ! C’est lui qui a donné une fausse direction au mouvement toscan en s’occupant de tout, excepté de la guerre, en voulant réorganiser les services civils, en désorganisant l’armée. Nous avons écrit lettres sur lettres à Buoncompagni pour qu’il fit cesser ce scandale en organisant un gouvernement où, sous le nom de protecteur, il eût à exercer la dictature de fait.

Buoncompagni n’exécuta nos instructions qu’à demi. Il détruisit le gouvernement provisoire, mais, au lieu d’une dictature, il organisa une espèce de régime constitutionnel, à la tête duquel il plaça les hommes les plus honorables.

Buoncompagni eut tort, mais, pour être juste, il faut lui tenir compte des difficultés immenses de sa position. Lorsqu’on n’a pas d’armée à sa disposition, lorsqu’on doit exercer une dictature populaire appuyée sur l’opinion publique et le sentiment des masses, il faut pouvoir présenter, à ce public et à ces masses, des idées facilement accessibles qui les excitent et les passionnent. Or, Buoncompagni, ne pouvant parler de fusion, n’ayant aucun candidat au trône grand-ducal à mettre en avant, était réduit à s’appuyer sur des idées négatives. Les deux seules parties de son programme, nettes et précises : l’exclusion de la famille de Lorraine et la guerre, n’étaient pas de nature à passionner les Toscans. Trois siècles de gouvernements corrupteurs ne les ont pas disposés aux sacrifices que la guerre exige. Ils détestent les Autrichiens, sans avoir un goût bien décidé pour l’emploi des moyens qu’il faut employer pour les chasser. Quant à la Maison de Lorraine, ils ne la détestent pas : ils la méprisent. Or le mépris n’est pas un sentiment qui pousse à faire de grandes choses.