Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/840

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la langue commune est le lien le plus solide qui unit tous les Français en un solide faisceau, qu’il importe tant d’en donner l’usage courant à tous les citoyens. Ne renversons donc pas les rôles. Les écoles de Bretagne sont et doivent être des écoles françaises ; sans cela, les Bretons n’auraient plus aucun lien intellectuel avec la grande Patrie. Il en est de même dans les provinces libérées.

Et les avantages du bilinguisme ? clament nos contradicteurs. Ils sont incontestables. Encore ne faudrait-il pas que, sous prétexte de bilinguisme, on refoulât le français à l’arrière-plan. Avant tout, l’étude de la langue nationale. S’il reste ensuite du temps pour l’enseignement de l’allemand littéraire, je ne vois aucun inconvénient à l’y employer pendant les dernières années de scolarité. Les programmes actuels y ont d’ailleurs pourvu. Ce contre quoi je m’insurge, c’est contre l’enseignement donné d’abord en allemand, à l’âge où l’esprit de l’enfant reçoit les premières et les plus durables impressions.

Qu’on n’exagère pas d’ailleurs la nécessité du bilinguisme, comment dirai-je ? vulgarisé. S’il est utile que des Français possèdent suffisamment l’allemand pour pouvoir suivre les travaux littéraires et scientifiques de nos voisins de l’Est, comme l’avait fort judicieusement fait remarquer M. Poincaré, cette considération vaut surtout pour les classes cultivées de la population. Les élèves des écoles primaires alsaciennes qui, d’aventure, seraient amenés à chercher du travail de l’autre côté du Rhin, se tireraient parfaitement d’affaire avec leur dialecte ; car, phénomène curieux, il y a très peu d’Allemands du peuple qui se servent habituellement de la langue écrite de leur pays.

Ce n’est pas sans ironie que je me rappelle mes campagnes d’avant-guerre pour l’introduction du français (oh ! comme langue étrangère) dans les programmes de nos écoles populaires d’Alsace et de Lorraine. On me les a suffisamment reprochées en opposant mon attitude d’alors à celle que je prends aujourd’hui. La situation était cependant tout à fait différente. Si nous faisions abstraction de quelques cantons peu étendus de langue française, nous ne pouvions pas prétendre, surtout trente ans après l’annexion, que le français fût la langue maternelle de notre population. Il nous était même difficile de trop mettre en relief la distinction qui existait entre le dialecte et le bon allemand, puisque le premier n’était pas une langue écrite.