Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les petits, il ne les désigne que par des diminutifs : Nanette, Babet, Fanchon, Madelon, Lionval.

Une vie lente, sage, fermée, grave, une sainte et douce vie de foyer ; des écrivains de génie qui étaient de bonnes gens ; beaucoup de dignité, de courtoisie cérémonieuse, et en même temps une grande simplicité de conduite et de cœur ; de dévotes pratiques, une piété profonde, une foi tranquille, en toute chose des certitudes ; dans l’ordre des questions sociales, nulle velléité de révolte ou de critique, le dogme monarchique accepté sans effort, un dévouement absolu à la personne du Roi considéré comme au-dessus de l’humanité et comme le vivant symbole, comme l’incarnation de la patrie ; enfin, de grandes satisfactions d’orgueil, l’orgueil de nos victoires et des drapeaux qui tapissent Notre-Dame, — telle nous apparaît la vieille France à travers les lettres de Racine et les Mémoires de son fils. Aussi ne les lisons-nous pas sans mélancolie. Malgré nous, l’opposition se fait dans notre esprit entre notre vie fiévreuse, toujours en quête de principes certains, et cette vie un peu monotone, mais si disciplinée, si régulière, si ferme en son Credo, et comme éclairée d’un dernier reflet de gloire :


Sagesse d’un Louis Racine, je t’envie !
Oh ! n’avoir pas suivi les leçons de Rollin,
N’être pas né dans le grand siècle à son déclin,
Quand le soleil couchant, si beau, dorait la vie !


Au bas de la descente, à la vue de l’étroit vallon où fut Port-Royal des Champs, l’émotion est la même à peu près que devant un tragique et glorieux champ de bataille, la même à peu près qu’à Waterloo. A Port-Royal aussi les vaincus furent grands, plus grands que les vainqueurs.

De quelles luttes avec soi-même et avec les ennemis du dehors, de quelles victoires sur la chair, sur l’humaine nature, ce coin de terre a été le théâtre !

Coin de terre si petit, d’où l’âme s’est élevée si haut ! Pour bien goûter le charme de Port-Royal, il faut regarder les gravures du XVIIe siècle qui représentent la pauvre abbaye entre son étang et ses jardins, celle où l’on voit les religieuses filant et priant dans l’espèce de rond-point appelé « la Solitude, »