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les prépare à une plus grande réceptivité, à une accommodation plus facile aux méthodes nouvelles, la preuve n’en est pas moins faite que, même chez des enfants qui n’y étaient pas tous préparés, ces méthodes ont été profitables.

Et alors, une question se pose. Allons-nous, de nouveau, comme avant 1870, créer deux catégories d’Alsaciens et de Lorrains, les fils et les filles des familles aisées, qui s’exprimeront habituellement en français, et les enfants du peuple, qui ne parleront que leur dialecte ? Ce fut la grande erreur des gouvernements d’autrefois de laisser subsister cette barrière linguistique entre les classes sociales dans les trois départements de l’Est. Il faut à tout prix, maintenant que l’expérience en a établi les inconvénients, n’y plus retomber.

On aurait tort de supposer que les gens du peuple s’opposent à l’enseignement du français par les méthodes les plus rapides et les plus efficaces dans les écoles populaires : « Si vous saviez comme mon gamin parle déjà bien le français ! » Que de fois n’ai-je pas entendu cette petite phrase, où se trouvait l’écho de l’orgueil qu’éprouvait un père de famille à voir son fils s’élever au-dessus de sa propre condition ! Car, quoi qu’on dise et quoiqu’on fasse, pour le vieil Alsacien du peuple, parler français c’est grimper d’un échelon sur l’échelle sociale.

Il a fallu toute la violence d’une campagne de presse difficilement excusable pour provoquer, en cette matière, une réaction, dont on aurait d’ailleurs grand tort de s’exagérer l’importance.

Immédiatement après l’armistice, il y eut, et je suis le premier à le comprendre et à l’excuser, un mouvement de révolte contre les méthodes nouvelles dans une partie notable du corps enseignant, auquel on demandait un effort qui semblait dépasser les possibilités immédiates. Cette opposition est tombée, au fur et à mesure que les instituteurs, se familiarisant eux-mêmes avec la langue qu’ils devaient dorénavant enseigner, ont compris, par les difficultés qu’ils avaient eues eux-mêmes à vaincre, les avantages du système qui leur était imposé.

Je ne saurais trop, à ce propos, faire l’éloge des maitres qui, avec tant de courage et tant d’abnégation, ont consenti à oublier tout ce qu’ils avaient appris pour apprendre ce qu’on les avait condamnés à ignorer Ils l’ont fait et le succès a couronné leurs généreux efforts. A peu d’exceptions près, ils sont aujourd’hui à même d’enseigner utilement le français, que peu