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transpositions de français en allemand et vice versa, sous la forme connue de thèmes et de versions. Le maître essaiera, toujours en allemand, de faire comprendre à l’élève ce qui différencie le génie des deux langues. L’esprit de l’enfant n’atteindra donc les mots français qu’à travers l’écran de mots allemands, qui ne lui sont même qu’artificiellement devenus familiers. C’est d’une complication formidable et décourageante.

On ne recule donc que pour mieux sauter. Le moment viendra toujours où il faudra recourir à la méthode directe, si on veut arriver à des résultats positifs. Pourquoi, dès lors, ne pas l’employer dès la première année de scolarité, et ne pas faire bénéficier les petits Alsaciens d’un enseignement donné, pendant huit années consécutives, dans la langue nationale ?

Il me serait facile de recourir ici à l’argument ad hominem. Je connais tels défenseurs bruyants de la Muttersprache qui ont confié leurs propres enfants à des pensionnats et à des collèges de l’intérieur, où l’allemand n’est pas enseigné. Pourquoi patronner en Alsace et en Lorraine l’emploi d’une méthode à laquelle ils ont délibérément soustrait leur progéniture ?

Et cela m’amène à envisager le problème sous un autre angle.


Il est certain que, dans un grand nombre de familles bourgeoises d’Alsace, on continuait, avant la grande guerre, à parler français. Il y avait donc moins d’inconvénient à introduire le français, comme langue exclusive de l’enseignement, dans les établissements d’instruction secondaire, après l’armistice. Néanmoins, on peut, sans crainte d’exagération, estimer à 50 p. 100 le nombre des jeunes élèves qui, fin 1918, n’avaient aucune notion et aucune pratique de la langue française, quand ils se firent inscrire dans les lycées et les collèges nouvellement ouverts. Or, si nous faisons abstraction do quelques fanatiques, dont l’opinion extrémiste nous est indifférente, personne ne proteste contre la « francisation » complète de l’enseignement secondaire et, après quatre années d’expériences heureuses, tout le monde reconnaît au contraire que le niveau des études dans nos lycées d’Alsace est tout aussi élevé que celui des maisons similaires du reste de la France. En admettant même que la situation sociale des élèves de ces établissements