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Chateaubriand, qu’en parlant d’elle il l’a déshonorée, il l’a douée d’une vie idéale et d’une immortelle grâce, il l’a couronnée de sa pervenche à jamais jeune et fraîche. Braves gens qui faites les scrupuleux, je vous souhaite d’aimer comme lui, et je souhaite à vos amoureuses que vous leur soyez des Jean-Jacques.


Maintes fois j’ai relu les lettres de Racine à sa femme, à ses enfants, à son ami Boileau, et les Mémoires de son fils Louis.

Double attrait de ces vieux textes.

D’une part, ils nous permettent de constater, et la constatation nous touche, que, d’une époque à l’autre, le fond de la vie ne varie guère : grâce et naïveté de l’enfance, inquiète tendresse des parents, incertitude des médecins au chevet du malade, — le poème du foyer est toujours fait à peu près des mêmes joies et des mêmes angoisses.

Que de différences, en revanche, dans la façon de sentir et de s’exprimer, dans les menus faits de la vie quotidienne ! Au moindre malaise, on a recours à la saignée, à l’émétique. On met trente-six heures pour aller de Paris à la Ferté-Milon. On s’excuse d’écourter sa lettre en disant : « Je suis paresseux d’allumer la bougie, » c’est-à-dire de souffler sur un tison ou de battre le briquet, ce qui n’est pas petite affaire. Et quelles belles formules de politesse ! Racine dit à Boileau : « Monsieur, » ou « Mon cher Monsieur. » Boileau répond : « Monsieur votre fils me montra une traduction d’une harangue de Tite-Live qu’il a faite, et j’en fus fort content. » Les lettres de Racine adressées à ses proches portent : A Monsieur, Monsieur Rivière. — A Mademoiselle, Mademoiselle Rivière. — A Monsieur, Monsieur Racine le fils (ou : le jeune), au-dessus de l’appartement de Mme de Ventadour, près celui de M. Busca, à Versailles. Ce fils étant l’aîné a droit à une marque spéciale de considération ; en parlant de lui, le père l’appelle « Racine ; » il lui écrit : « Votre mère vous salue » (parfois aussi : « vous embrasse de tout son cœur ») ; il lui dit vous, comme à sa sœur Mlle Rivière. A sa femme qu’il appelle « mon cœur » et « mon cher cœur » il dit tantôt vous et tantôt tu. « Faites, écrit-il à son fils aîné, mes baisemains à M. Rivière, à vos sœurs. » En lui parlant de Marie-Catherine, la plus âgée d’entre elles, il dit : « Votre sœur » ou : « Votre sœur aînée ; » quant aux cinq autres enfants, .