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Catherine-Michaïlowna, c’est-à-dire sa qualité d’épouse légitime, son nom familial de princesse Youriewsky et son titre d’Altesse Sérénissime devaient être homologués, selon toutes les formes requises. Le Tsar remit donc au ministre de la Justice, Nabokow, l’ukaze personnel qu’il avait signé le 18 juillet, jour de son mariage, et lui ordonna de le faire enregistrer secrètement par la chambre héraldique du Sénat dirigeant.

Mais, dans l’esprit d’Alexandre II, toutes ces grandes affaires aboutissaient à une pensée dominante, dont il ne s’ouvrait à personne, sauf naturellement à Catherine-Michaïlowna. Quand il aurait promulgué sa réforme politique et couronné son épouse, quand il se serait ainsi acquitté de tous ses devoirs envers son peuple et l’élue de son cœur, il ne porterait pas plus longtemps le fardeau écrasant du pouvoir suprême. Dans six mois, dans un an au plus, il abdiquerait au profit du Césaréwitch ; puis il quitterait la Russie avec sa femme et ses enfants. Dès lors, ayant renoncé à tous les prestiges de la puissance et de la majesté, content de n’être plus qu’un homme, n’attachant plus de prix qu’à la douceur des affections intimes, il irait s’installer en France, à Pau ou à Nice, pour y vivre paisiblement les années que Dieu lui accorderait encore. Par instants, cette image de bonheur rayonnait devant son âme comme une vision paradisiaque.


Malgré toutes les précautions prises pour envelopper d’un impénétrable mystère les événements qui se préparaient, le public s’en doutait plus ou moins.

A travers la capitale, des bruits étranges circulaient. Sans nulle preuve, sans nul indice, on affirmait que, le 2 mars, jour anniversaire de l’abolition du servage, Alexandre II promulguerait une charte constitutionnelle qui, supprimant l’autocratisme, établirait comme un nouveau pacte d’alliance entre le peuple russe et la dynastie des Romanow. Ces rumeurs éveillaient autant de crainte et de colère chez les uns que d’espérance et de jubilation chez les autres. Mais la journée symbolique du 2 mars n’apporta rien. Alors, la fièvre des esprits monta encore. Et, pour échapper au tourment de l’incertitude, on s’imagina que la charte serait promulguée à la fin du carême, le dimanche de Pâques, 24 avril, le saint jour de la Résurrection.