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risquer à une timide ébauche du régime parlementaire, — ce régime que le procureur général du Saint-Synode, Pobédonostsew, dénonçait au grand-duc héritier comme « une invention du Diable. »

Entre ces divers systèmes, Alexandre II évitait de se déclarer. Voulant réfléchir encore, il ajournait sa résolution jusqu’à son retour dans la capitale. Il nommerait alors une commission, que présiderait le Césaréwitch et qui lui soumettrait des conclusions pratiques.

Mais, s’il différait à se prononcer sur l’étendue et la formule des innovations libérales dont il acceptait le principe, il avait tout de suite aperçu combien elles lui seraient utiles pour motiver et légitimer, aux yeux de son peuple, l’élévation de son épouse morganatique au rang d’impératrice.

Un jour, dans ces entretiens de Livadia, Loris-Mélikow lui dit ;

— Ce serait un grand bonheur pour la Russie d’avoir comme autrefois une impératrice russe !

Et il lui rappela que jadis le premier des Romanow, le très illustre tsar Michel-Féodorowitch, avait épousé une Dolgorouky.

Un autre jour, l’Empereur travaillait avec son ministre sous la véranda. Le petit Georges, qui était venu gambader autour d’eux, finit par grimper sur les genoux de son père. Après s’être prêté quelques minutes aux fantaisies du bambin, Alexandre-Nicolaïéwitch le congédia :

— Maintenant, va, mon petit, va !... Laisse-nous travailler.

Tandis que l’enfant s’éloignait, Loris-Mélikow le suivit d’un regard aigu et songeur. Puis, se tournant vers le Tsar :

— Quand les Russes le connaîtront, ce fils de Votre Majesté, ils diront tous : « Celui-là est un des nôtres ! »

L’Empereur avait longuement réfléchi à cette parole, qui semblait deviner une de ses pensées les plus secrètes.

Le 15 septembre, le général de cavalerie, aide de camp général, comte Loris-Mélikow, ministre de l’Intérieur, reçut un témoignage éclatant de la faveur souveraine. Le Tsar lui conféra le grand-cordon de Saint-André, l’ordre insigne entre tous, la plus haute distinction que pût ambitionner un homme d’État russe.