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continuité de bonheur qu’ils n’avaient encore jamais connues.

C’est dans cette atmosphère de sérénité amoureuse et familiale que Loris-Mélikow poursuivit avec le Tsar, et presque toujours devant la princesse, l’examen de ses grands projets. Plusieurs fois déjà au cours de son règne, Alexandre II avait arrêté son esprit sur la convenance et la possibilité d’introduire, dans les institutions de l’Empire, le système représentatif. Apres l’abolition du servage, il avait concédé aux assemblées de la noblesse une sensible extension de leurs droits. En 1864, il avait institué les conseils provinciaux, les Zemstvos, qui rappelaient à l’imagination russe les fameux Zemskyïé Sobory, les Etats généraux de la Moscovie aux XVIe et XVIIe siècles. Le problème qui se posait à l’heure actuelle était singulièrement plus vaste. Dans les régions supérieures de la politique, au sommet de l’édifice impérial, il n’y avait d’autres assemblées que le Sénat dirigeant et le Conseil de l’empire. Or, le Sénat dirigeant n’était qu’une haute cour de justice, de discipline et d’enregistrement. Quant au Conseil de l’empire, composé uniquement de grands-ducs, d’officiers généraux et de fonctionnaires, s’il avait pour attribution éminente de rédiger les lois, ses statuts ne lui conféraient à une indépendance, aucun droit d’initiative, aucun pouvoir de décision ; il n’était que l’auxiliaire très obéissant du Tsar-Autocrate, législateur suprême, et les avis qu’il émettait n’engageaient nullement le souverain, qui les sanctionnait ou les modifiait à son gré. C’était donc les principes mêmes et toute l’organisation du tsarisme qu’il s’agissait de transformer aujourd’hui.

Plusieurs systèmes s’offraient à Loris-Mélikow. On pouvait, par exemple, accorder au Conseil de l’empire une certaine indépendance pour la confection des lois et le contrôle des finances publiques ; sur cette base, on élargirait le recrutement du Conseil, en y appelant quelques représentants du pays, que l’Empereur désignerait au sein des assemblées provinciales. On pouvait aussi créer, de toutes pièces, une Douma consultative, très limitée dans ses attributions, soumise à un règlement très sévère, et dont les membres seraient élus par les Zemstvos ou par des collèges tirés des grandes catégories sociales, telles que la noblesse, le clergé, les propriétaires fonciers, les marchands, les universités, les moujiks, etc... On pouvait enfin s’orienter plus résolument vers la conception de l’Etat moderne et se