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grand-duc chez l’Empereur et lui exposa longuement ses idées.

Il le revit, le lendemain, en tête à tête, ce dont il profita pour se montrer plus pressant ; il trouva même des paroles si insinuantes et si avisées, qu’il pouvait écrire, le soir, à Mlle S... : « Autant que j’en peux juger d’après l’apparence, la déclaration que j’ai faite aujourd’hui à l’héritier du trône n’a pas produit sur lui une mauvaise impression. Dieu soit loué ! »

Mais, dans ce tête à tête, l’ingénieux ministre n’avait certainement pas découvert le fond de sa pensée. Peut-être même ne l’avait-il pas encore dévoilé à son maître.

Le mariage secret, dont il était l’un des rares confidents, lui avait en effet suggéré un moyen nouveau, très audacieux, d’accomplir son grand dessein politique. Il fallait démontrer à l’Empereur que l’octroi d’une charte constitutionnelle pourrait motiver et justifier, aux yeux du peuple russe, l’élévation de l’épouse morganatique au rang d’impératrice.

Les circonstances de l’été lui offrirent une occasion très opportune d’entreprendre cette démonstration : il reçut l’ordre d’accompagner le Tsar à Livadia.


Alexandre II partit, le 29 août, avec la princesse Youriewsky et les deux enfants aînés.

C’était la première fois que la princesse montait dans le train impérial. Aussi, les personnes de la suite, les aides de camp, les maîtres des cérémonies, les secrétaires, les chambellans furent stupéfaits de la voir admise à un pareil honneur, dont nul ne soupçonnait la cause.

Et la stupeur fut encore plus forte, à Livadia, lorsqu’on la vit descendre et s’installer, non plus à Bouÿouk-Séraï, mais au palais. Elle y avait déjà résidé, en secret, l’automne précédent, après le départ de l’impératrice Marie pour Cannes. Aujourd’hui, elle y habitait ouvertement.

Dès lors, elle ne quitta plus l’Empereur : elle participait à ses repas ; elle se promenait avec lui en voiture et à cheval ; ils passaient de longues heures sous les vérandas, regardant jouer leurs enfants, admirant le paysage, sentant leur âme se dilater au souffle de la brise marine, s’attardant le soir au charme des rêveries sous le ciel étoilé, goûtant ainsi une plénitude et une