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Par cet ukaze, Alexandre II attribuait une filiation authentique et un état légal aux enfants nés de son amour. On peut même soutenir qu’il légitimait leur naissance, puisque son autocratisme l’élevait au-dessus de toutes les juridictions civiles et que tout acte émané de sa volonté souveraine avait force de loi.


Le 28 juillet, Loris-Mélikow fut mandé à Tsarskoïé-Sélo. Après lui avoir fait jurer le secret, Alexandre II lui confia l’union qu’il venait de contracter ; il ajouta :

— Je sais que tu m’es dévoué. Il faut que désormais ton dévouement s’étende aussi à ma femme et à mes enfants. Mieux que personne, tu sais que ma vie est sans cesse menacée ; je peux être assassiné demain. Quand je ne serai plus, n’abandonne jamais ces êtres qui me sont si chers. Je compte sur toi, Michel-Tariélowitch.


Et, tout de suite, il mit l’entretien sur les affaires courantes. Trois jours plus tard, le grand-duc héritier, qui arrivait d’une cure aux bains d’Hapsal en Esthonie, fut appelé par son père, dont il reçut la même confidence, accompagnée de la même recommandation.

Très pieux, très chaste, très rigide en morale et en religion, ayant voué un culte au souvenir de sa mère, le Césaréwitch puisa, dans son respect de l’autorité paternelle et de l’autorité souveraine, la force de s’incliner docilement devant une révélation qui l’affligeait et le meurtrissait jusqu’au fond de l’âme.


Cependant, la politique ne perdait pas ses droits. Les esprits demeuraient fort excités. Ne voyant venir aucune des réformes espérées, l’opinion. libérale commençait à douter de l’homme courageux qui avait naguère assumé la haute direction de l’Empire. Le dictateur en eut l’impression vive et son génie astucieux lui inspira deux coups de théâtre qui lui rendirent soudain toute sa popularité.

D’abord, il osa, d’un trait de plume, abolir la fameuse Troisième section de la Chancellerie impériale, la grande Inquisition d’Etat Depuis le règne de Nicolas Ier, elle évoquait des images si terribles que, dans la société, il était malséant de la nommer et que les journaux employaient des périphrases pour