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une sérénité d’azur, un charme de béatitude, qui rachètent en quelques heures toutes les tristesses de l’interminable hiver. La voiture s’engagea sous les futaies qui prolongent le parc impérial jusqu’aux bois de Pavlowsk. Alors seulement, Alexandre II rompit le silence. Tournant vers sa femme un regard extasié, il dit :

— Voilà trop longtemps que j’attendais ce jour !... Quatorze années !... Quel supplice ! Je n’en pouvais plus ; j’avais constamment la sensation d’un poids qui m’écrasait le cœur.

Soudain, son visage prit une expression tragique :

— Je suis effrayé de mon bonheur... Ah ! que Dieu ne me l’enlève pas trop tôt !

Après une minute de recueillement, il dit encore à la princesse :

— Si mon père t’avait connue, il t’aurait beaucoup aimée, toi..., toi !

Puis se penchant vers son fils Georges et le dévorant des yeux, il lui demanda :

— Gogo, mon chéri, promets-moi que tu ne m’oublieras pas !

L’enfant, trop jeune pour comprendre, hésitait à répondre. Le père insista, suppliant :

— Promets-moi, chéri !... Promets-moi !

Pressé par sa mère, Georges répondit :

— Je te promets, papa.

Mais la figure attendrie de l’Empereur se contracta de nouveau. Une pensée grave, secrète sans doute, venait de surgir à son esprit ; car il avait l’air méditatif et ne parlait plus. Tout à coup, il tendit le doigt vers son fils et, comme s’il se contenait pour n’en pas dire davantage, il murmura :

— Celui-là est un vrai Russe... Celui-là, au moins, n’a que du sang russe !

Ayant ainsi pleinement épanché son âme, il ordonna au cochet de rentrer par le plus court chemin.

Le soir de ce grand jour, 6/18 juillet, il fit dresser un acte de mariage, qu’il certifia ultérieurement par la copie suivante, revêtue de sa signature :

Pour copie conforme : COPIE

ALEXANDRE

Tsarskoïé-Sélo, le 17 juillet 1880 [1]

  1. 29 juillet [n. s.].