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réclame votre indulgence [1] ; peut-être achèvent-ils de faire connaître l’ordre habituel de mes pensées, et le genre de travaux vers lequel je me sens attiré. Une histoire critique des origines du Christianisme, faite avec toutes les ressources de l’érudition moderne en dehors et bien au-dessus de toute intention de polémique comme d’apologétique, a toujours été le rêve que j’ai caressé. Mais je n’aborderai ce grand sujet qu’après m’être fait une autorité par des œuvres d’un caractère purement scientifique, et où nulle préoccupation religieuse ne puisse être soupçonnée [2].

J’ai l’honneur d’être, monsieur, avec le plus profond respect et la plus haute admiration, votre très humble et très obéissant serviteur

E. RENAN.


Sainte-Beuve répondit à celte lettre le 29 août : « Monsieur, disait-il, j’ai voulu, avant de répondre à votre aimable et beaucoup trop flatteuse lettre, avoir commencé du moins à vous lire. Je l’ai fait avec le plus grand plaisir et le plus grand profit. Cette méthode d’étudier l’esprit humain historiquement, et de découvrir les régularités mêmes qu’il observe dans ses mirages, est bien celle que je considère comme la vraie méthode philosophique. Mais que de science réelle il faut pour l’appliquer à des époques si éloignées et à des doctrines si ardues ! » Et il reprenait à sa manière le sujet traité par Renan, « traduisant en images » les aperçus plus abstraits de l’historien. « Plus on étudie l’histoire, ajoutait-il, plus on trouve que les hommes et les choses se sont beaucoup ressemblé sous les différences de forme et de costume. Ce que j’aime dans vos écrits, monsieur, c’est qu’en touchant à fond à ces questions philosophiques, vous ne vous y embarrassez pas et que voire esprit est libre de la glu. Vous avez de grands desseins et tout ce qu’il faut pour les exécuter. Personne ne vous suivra avec plus d’intérêt que moi... »

A défaut de l’article qu’il n’avait pas pu promettre, faute d’un « biais pour introduire » un tel sujet, Sainte-Beuve, deux ans plus tard, à propos de Mm< Dacier, écrivait dans l’un de ses Lundis [3] : « Hier encore, un jeune savant qui a déjà fait ses preuves en haute matière et qui se trouve être à la fois un excellent écrivain, M. Ernest

  1. Probablement, entre autres études, l’article de la Revue sur Mahomet et les Origines de l’islamisme (15 décembre 1851).
  2. Tout ce développement a été repris el utilisé par Sainte-Beuve dans son premier article sur Renan (Nouveaux Lundis, t. II, p. 305).
  3. Causeries du Lundi, tome IX, p 379-380 (article du 6 mars 1854).