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une couple d’articles que je me promettais depuis longtemps, dont je comptais saluer votre début-, et qui sont, à mes yeux, une dette que j’ai contractée envers vous en profitant de vos écrits. » Très consciencieusement préparés, ces deux articles, qui utilisaient lettres et conversations du modèle, sont parmi les meilleurs des Nouveaux Lundis : Sainte-Beuve y a déployé tout son talent et toutes ses grâces. Jamais il n’a mieux mérité la qualification d’ « âme frôleuse de confesseur laïque » que lui a décernée un jour Jules Lemaître. « Vous n’êtes pas de ceux qu’on brusque, écrivait-il en cours de route ; j’habite avec vous, je croyais vous connaître déjà et vous me réserviez une surprise. J’écoutais et suivais un critique, le plus fin et le plus attachant des critiques, et voilà que je trouve au bout de chaque allée un artiste. Ce dernier côté me frappe beaucoup en vous étudiant. Ah ! que vous êtes difficile à embrasser ! » Nous ne savons pas ce que Renan a pensé de ces articles, — si des lettres de lui n’ont pas été perdues, il a dû en remercier l’auteur de vive voix, — mais il serait bien extraordinaire qu’il n’en eût pas été très touché et très heureux. Il adressait un peu plus tard à Sainte-Beuve sa fameuse lettre intitulée : la Chaire d’hébreu au Collège de France, puis l’exquis opuscule qu’il avait consacré à la mémoire de sa sœur Henriette, et qui n’était destiné qu’à quelques intimes, et Sainte-Beuve remerciait « avec émotion » de ce « beau présent, » de « ces pages si élevées et si tendres. » Enfin, l’année suivante, Sainte-Beuve ayant récidivé, à propos de la Vie de Jésus, qu’il avait annoncée, au moment de son apparition, par une note enflammée du Constitutionnel, on verra combien Renan fut sensible à ce nouveau témoignage d’approbation et de sympathie.

Les rapports entre les deux écrivains devenaient de plus en plus intimes et cordiaux : ils se voyaient aux dîners Magny, et dans diverses maisons amies ; le ton et le fond de leurs lettres témoignent de plus en plus de cette croissante « amitié. » Dès 1862, Sainte-Beuve avait réclamé la « collaboration » de Renan à l’Académie, et il l’avait déclarée « presque indispensable ; » plus tard, en 1867, il faillit s’attirer un duel pour l’avoir énergiquement détendu au Sénat, et pour l’avoir proclamé « l’homme le plus distingué de sa génération. » Il était tout naturel que Renan voulût faire un dernier plaisir à son « cher maître et ami. » A propos d’une nouvelle édition du Port-Royal, il écrivit sur le livre un nouvel article dans le Journal des Débats du 15 novembre 1867. « Livre admirable, y disait-il. vrai chef-d’œuvre de critique et d’art, vrai modèle de la façon dont il convient d’écrire l’histoire religieuse. » Sainte-Beuve fut si touché de ces pages [1], qu’il répondit le jour même : « Cher ami, enfin, je l’ai, devant le public,

  1. Elles ont été aussi recueillies dans les Nouvelles Études d’histoire religieuse.