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LETTRES
DE
RENAN À SAINTE-BEUVE

Il y avait entre Renan et Sainte-Beuve une différence de dix-huit ans. C’est dire qu’ils appartiennent à deux générations différentes et successives. Quand Renan, en 1845, quitta Saint-Sulpice, Sainte-Beuve avait quarante et un ans : il venait d’être reçu à l’Académie française ; il avait publié son Joseph Delorme et ses Consolations, son roman de Volupté, et d’innombrables articles critiques ; enfin et surtout, il avait donné les deux premiers volumes de Port-Royal, ce livre où, de son propre aveu, « on le trouve tout entier, lorsqu’il est livré à lui-même et à ses goûts. » Pour qui savait lire, il était sans contredit le premier critique de son temps, celui dont l’opinion faisait autorité, et dont tous les jeunes auteurs se disputaient à l’envi les suffrages.

A quelle époque remontent les premiers contacts entre la pensée d’Ernest Renan et les écrits de Sainte-Beuve ? C’est ce qu’il est assez difficile de préciser. Apparemment, le petit séminariste de Tréguier n’avait pas plus entendu parler du futur critique des Lundis que de Victor Hugo. Mais à Saint-Nicolas du Chardonnet, il n’en fut sans doute plus de même, et dans ce milieu brillant, très ouvert aux choses du dehors, il serait invraisemblable que certaines pages de Sainte-Beuve ne fussent pas tombées sous les yeux fureteurs du jeune élève de l’abbé Dupanloup. Plus tard, à Issy, puis à Saint-Sulpice, il est probable que l’initiation se poursuivit progressivement : il est à croire que le Port-Royal n’a point passé inaperçu des Sulpiciens d’alors, et l’on peut se demander si la lecture du fécond écrivain n’aurait pas été pour quelque chose dans la crise d’âme, ou