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Les hommes d’autrefois étaient assez indifférents aux vieilles choses. Moins instruits et d’humeur moins rêveuse, ils n’avaient pas comme nous le sens du paysage historique et le culte un peu maladif des vieux édifices, des ruines, de tout débris du passé. A cet égard, Chateaubriand et les romantiques ont été les vrais initiateurs. Sauf des exceptions dont la liste ne serait pas longue, tout le monde jusque-là pensait comme le bon Hollandais Aarsens qui, revenant d’Espagne en 1666 et traversant Roncevaux, écrivait dans son journal de voyage : « Pour nous qui n’avons jamais eu une curiosité si creuse que celle qui s’amuse au marbre, aux pierres, à la terre, aux tombeaux et à tous ces objets muets, nous ne vîmes tout cela qu’en chemin faisant... Portés par l’envie d’être bientôt au delà des Pyrénées, nous nous hâtâmes de traverser tous ces pays de roman ou d’histoire. »

Sous le Premier Empire encore, les châteaux de Blois, d’Avignon, étaient transformés en casernes ; celui d’Amboise était en partie démoli.

De nos jours, l’État s’occupe de classer, de protéger et d’entretenir les monuments et les sites qui font partie de notre histoire. Des sociétés particulières comme « Les Amis de Versailles, » des hommes de grand goût comme M. André Hallays secondent et contrôlent utilement son œuvre. Et le moindre objet, pour peu qu’il soit un témoin du passé, semble respectable.

J’ai vu naguère au musée de l’Hôtel Carnavalet le « bouton de la porte de la salle de bains où a été poignardé Marat. » Y est-il encore ?


En écoutant le vieil amiral P. me parler de son père, chirurgien de la marine sous le Premier Empire, j’entrevois ce que pouvait être la vie dans une ville de province au temps des diligences. Vie plantureuse, car Brest était alors à cinq jours de Paris, toutes les bonnes choses du pays, huîtres, poisson, volailles, gibier ou primeurs, tout ce qui maintenant s’expédie aux Halles, se consommait sur place ; vie cordiale, car on se mariait entre gens de la ville et il y avait des cousinages sans