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lesquelles il a compté, devient dans l’Islam le Jeune Turc, le Jeune Égyptien, le Jeune Tunisien. Comment éviter ce péril ? Comment mettre l’âme de ces enfants en contact avec l’esprit du temps et les engrener dans le mouvement général de notre époque, pour qu’ils y apportent leurs qualités propres ? Peut-on retrouver leurs sources héréditaires, et qu’ainsi se déploient à nouveau des forces intérieures qui, à d’autres époques, eurent de la beauté et de l’efficacité ? Qu’est-ce que ces nations syriennes feront des possibilités qu’elles reçoivent de nos éducateurs ? Quelles espérances exactement pouvons-nous concevoir de leur réveil ? Ces débris de civilisation qui s’amoncellent sur le sol de la Syrie doivent-ils être considérés comme un obstacle, comme une barre dans le grand fleuve, ou bien contiennent-ils encore de fécondes semences ?


Un jeune homme est venu me trouver et m’a dit :

— Je suis fils et petit-fils de drogmans honoraires. Mon grand père a connu Lamartine et Saulcy ; nous en avons des lettres. Comment trouvez-vous ce pays ?

— Un bien beau pays.

— Beau ! s’écria-t-il, avec horreur.

Je l’entrainai à la fenêtre et lui montrai le Liban, le Sannin, les neiges, ces cimes qui s’élancent vers l’infini du ciel.

— On n’y peut pas vivre, me dit-il.

— Vous voulez venir à Paris ?

— Tous les jeunes gens de ce pays voudraient y aller.

Contraste d’un cœur malheureux et d’un paysage sublime. On ne peut pas vivre où le cœur se sent oppressé.

— Tenez, continua-t-il, voici, monsieur Barrès, ce qu’on ne vous dira pas. Ce sont les livres qui font notre esprit. Je suis l’élève des Frères, je n’oublierai pas ce que je leur dois. Ils sont nos bienfaiteurs. Sans eux, nous serions, comme les autres Orientaux, des zéros. Ils nous ont donné l’instrument. Et puis nous avons lu. L’influence de la France en Orient, c’est la littérature. Nous voulons aller au pays des livres que nous aimons.

Je l’écoutais avec gravité. Ce jeune inquiet réveillait en moi des scrupules que j’avais ressentis très fort depuis que je suis en Orient, à voir avec quel élan cette jeunesse m’accueille. Qu’est-ce que la littérature française d’aujourd’hui peut leur offrir