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astres existaient, sans qu’aujourd’hui même la science puisse chiffrer l’âge des sphères innombrables.

Pascal a le premier ressenti le vertige de l’infinie durée. Mais ce vertige, c’est Buffon qui l’a révélé aux hommes. Il nous a fait remonter jusqu’aux origines du Cosmos. Ses Époques de la nature sont l’œuvre d’un génial visionnaire ; il voit les états successifs du globe, il le voit, globe à peine refroidi, crevassé, fumant encore et roulant à travers l’espace ; puis il voit s’ébaucher le paysage préhistorique, naître les premières formes, formes monstrueuses, de la vie animale ; et soudain l’homme apparaît, nu et vénérable, perdu dans l’infini des temps.


Par ces journées d’octobre où des brouillards traînent au ras du sol, le soir surtout, quand le couchant se noie dans une vapeur de forge, la terre redevient pour nous la planète mal éteinte qui fume et qui roule. Nous reprenons conscience du Cosmos.

Sensation que donne aussi la montagne avec ses lignes brusques et chaotiques, son apparence de paysage lunaire, ses cratères éteints où la brume semble un reste de fumée.



Presqu’île de Crozon, août 1908.

Des falaises de granit que tapissent des ajoncs nains, des falaises à pic hautes de cent mètres, entre Morgat et le Cap de la Chèvre. A mes pieds, la baie de Douarnenez, immense, aussi bleue que la Méditerranée, zébrée de traînées blanches par les courants, tachetée de plaques violettes par le varech des bas-fonds, ridée, gaufrée à tout petits plis réguliers par la brise, parcourue de frissons qui se propagent lentement. Deux ou trois roches grises émergent de cet azur. La côte opposée, très lointaine, s’estompe au Sud dans une buée de soleil.

Au-dessous de moi, à ma droite, s’arrondit une petite anse d’un bleu profond, frangée d’écume blanche. Trente barques de pêche y sont tapies, sans voiles, les filets pendus à la pointe des mâts ; l’une d’elles s’éloigne ; une autre qui s’en vient du large va les rejoindre.

Derrière moi, au Nord, de l’autre côté de la presqu’île aride