Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/738

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pressentez, leurs médiateurs, et, poursuivant le rêve des vieux prophètes, nous présiderons à la grande réconciliation des peuples, »

À ce moment nous étions remontés sur le pont et je m’aperçus que tout autour du bateau, dans une mer limpide, nageaient et se croisaient, avec une divine rapidité, une multitude de poissons d’or et d’argent. Mes yeux ne s’y arrêtèrent pas longtemps, car ils furent attirés par un spectacle plus étonnant. Je vis, à quelque cinquante mètres au-dessus de ma tête, une multitude d’oiseaux, et l’un après l’autre, comme il était arrivé pendant la traversée, ils vinrent se poser sur les vergues du bateau. Je savais que c’étaient des israélites qui venaient du fond des siècles, fatigués d’avoir tant erré. Et quand ils furent là, d’autres oiseaux d’espèces différentes prirent confiance et des quatre coins du ciel apparurent et s’abattirent encore sur le navire. On ne peut pas se figurer comme il était merveilleux, ainsi chargé dans tous ses agrès de ces petites bêtes ! De là en sautillant ils descendirent, et comme il n’y avait sur le pont que les Pères et moi, ils n’étaient pas effarouchés. Pour finir, ils sautèrent sur le pont, et à peine le touchaient-ils qu’ils devinrent de ravissantes jeunes filles. Il y en eut bientôt une foule.

Le vaisseau étant vide, chacune d’elles alla reconnaître sa cabine, choisir sa place à table et s’assurer d’un fauteuil sur le pont. C’était une animation ravissante de Juives, de Grecques, de Syriennes, d’Arabes et de Turques, avec les infinies nuances qui caractérisent chacune de ces races.

Je me promenais curieusement dans tout le bateau, et les jeunes filles, ou les oiseaux, me saluaient à mon passage de compliments et de chants variés. Il faut que je l’avoue, à chacune d’elles je faisais des serments. Mais chaque fois que je disais à l’une : « C’est vous que je préfère, » un des Pères Ratisbonne surgissait soudain et me faisait des reproches, en m’accusant de complaisance pour Baal.

À la fin, que leur aurais-je répondu ? C’est ce que j’ignore, car j’entendis un grand tapage. C’était le garçon de bord qui frappait à ma porte et me criait : « Monsieur, on quitte le port. Monsieur ne veut-il pas voir le coup d’œil ? »