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France. Ces yeux brillants, ces tresses noires, ces tailles naissantes, tous ces fronts déjà parés d’un rayon d’adolescence et qui gardent encore la touchante humilité de l’enfance, ce sont des Antigone, des Iphigénie, des Phèdre, des Roxane, des Monime, des Bérénice, des Cléopâtre, des Esther, des Delia, des Zaïre, à l’âge de Juliette, ou même plus jeunes, et je crois me promener dans les coulisses d’un merveilleux théâtre romantique où d’innombrables figurantes sont en train de répéter leur rôle et de vêtir leurs parures. Nos religieuses les préparent à paraître sur la scène du monde.

C’est ici le pont jeté par Esther entre l’Asie et nos vieux pays. C’est ici le lieu de leur préparation. Mais il ne s’agit plus de la toilette d’Esther. Ces jeunes filles sont aux mains de nos religieuses qui leur forment l’âme. C’est entendu. Quand il leur faudra des chapeaux, des robes, des parfums, et Dieu sait qu’il leur en faudra ! elle les prendront dans notre rue de la Paix ; mais il y a plus profond : ainsi formées, les femmes de l’Orient aimeront, à travers Paris, le meilleur de la France.

— Voulez-vous entrer à la chapelle ?

— Certainement, ma sœur.

Dans une niche éclairée par en haut, une Vierge au milieu de palmiers, présentée en trompe-l’œil sous des jeux de lumière.

— C’est charmant, dis-je.

— C’est pieux, rectifie avec une douce fermeté la sœur.

Je sors de là, et je retombe sur des maisons en démolition, des terres pelées, des fillettes couvertes de vermine. On n’imagine pas le romanesque de ces images de grâce et de dignité françaises dans ce faubourg du Nil, sous les couleurs légères et tristes d’un ciel rougeoyant d’Égypte. Retrouver l’atmosphère des couvents où ont grandi les héroïnes de Feuillet, les rubans bleus et les rubans roses du Sacré-Cœur, sous le palmier, le sycomore et le figuier sauvage ! Et cependant ce sont bien les arrière-petites-filles des princesses que les vieux artistes des Pharaons ont dessinées d’un trait si léger !

Songez à ce qu’il faut d’efforts et de solide idéal intérieur pour créer sous le climat d’Égypte, chargé de poussière et si amollissant, ces hautes et fortes maisons, cet ordre, cette propreté, cette paix ! Quel rythme qui vient de lame et se communique immédiatement aux âmes ! Sainte race d’Occident, qui recommencera éternellement les croisades.