Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/725

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans l’Empire ottoman. Elles y sont la matière de toute notre activité. Nous leur sommes liés par notre honneur et par nos intérêts.

Le Turc aussi a sa valeur. Mais pour s’éviter d’effroyables surprises, il faut distinguer sous ses apparences son invincible nature et ne pas prendre à la lettre la vision enchanteresse de Loti.

C’est justement qu’on vante les paysans turcs. Il n’y a pas de population plus stable en Orient que celles de l’Asie-Mineure. À l’encontre de ce que nous constatons en Attique et dans le Péloponèse, la population grecque antique a subsisté en Orient. Le paysan turc est à peu près certainement un Grec qui a subi l’Islam, comme il fallait bien, l’Islam promené par le cimeterre. Voyez sa physionomie. Pas les pommettes saillantes, pas la face large et un peu aplatie du Mongol et du véritable Turcoman. Ils ont le type aryen. On retrouve vivants et riants au milieu d’eux les visages des vieilles statues qu’on déterre sous leurs pieds.

Quant au Turc de Constantinople, le Turc fonctionnaire, celui qui plaît tant à Loti et à Farrère, il a une amabilité sans égale, une puissance de caresse extraordinaire. Leurs mères sont à l’ordinaire des Géorgiennes ou des Circassiennes, car les Turcs ont la préoccupation de choisir les femmes les plus belles. Ils les attrapent comme on attrape les oiseaux. À leur usage, il y a des voleurs de jeunes filles dans le Caucase. Ainsi dans la société de Constantinople le type ne cesse pas de s’affiner. Seulement, persuadez-vous bien qu’il y a chez Loti plus de poésie que d’esprit critique et d’information. Il faut en dire autant des ambassadrices. La femme turque n’existe pas, et, à Constantinople, les Européennes sont de véritables reines. En quittant cette ville, elles croient descendre des marches du trône. Et d’une telle souveraineté, tout naturellement, elles gardent aux Turcs une gratitude infinie. Elles n’ont guère été réveillées de ce rêve que dans les trois jours des massacres de Constantinople.

Le 26 avril 1896, à dix heures du matin, les massacreurs descendirent la grande rue de Péra, par bandes de cent cinquante ou deux cents assassins, armés de massues, toutes du même modèle et sorties de la même fabrique : des bâtons de fer terminés par une boule. À midi, la tuerie méthodique battait