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curieux que je n’aie jamais pu satisfaire l’attrait qui m’appelle depuis toujours vers Bagdad et Chiraz. Quelque chose m’apparentait aux Persans, qui sont les plus intellectuels des artistes ; j’ai passé d’innombrables moments avec leurs poètes ; j’ai vécu de ce que m’avaient apporté de leur horizon deux, trois amitiés précieuses ; j’ai cultivé cette nostalgie, mais nos habitudes et mille exigences nous attachent plus solidement que la corde au piquet. Qu’aujourd’hui, du moins, il me soit permis d’aller, comme au seuil de mon véritable destin, dans le proche Orient, et d’y tendre mon verre aux échansons de l’éternité.

Je n’y vais pas chercher des couleurs et des images, mais un enrichissement de l’âme. Déjà nos grands peintres, les Dauzat, les Marilhat et les Decamps, qui découvrirent Smyrne, Damas, Jérusalem et l’Egypte, incapables de se contenter de fières draperies et d’armes singulières, prétendaient saisir la pensée derrière les gestes, les attitudes, et les regards. Avec Delacroix, le maître du chœur, ils ont mis sur la cimaise la rêverie farouche du musulman, son fatalisme et la nostalgie des races qu’il opprime. C’est par ce chemin de leur romantisme que je suis allé d’imagination jusqu’à la part éternelle de l’Asie. J’ai le sentiment que l’Asie a des secrets, toute une vie ténébreuse, un cœur religieux, qui m’inspire un attrait que je voudrais inonder de lumière.

Que de fois, avec Renan, j’ai remonté en esprit le fleuve Adonis jusqu’à la source d’Afaka, tandis que les femmes du cortège dansant de Byblos gémiraient le long des gorges profondes ! Que de fois je me suis assis en imagination sur les châteaux du Vieux de la Montagne dans le pays inabordable des Allaouit ! Et quand je priais les maîtres de notre Ecole des langues orientales de m’éclairer les pressentiments que Gœthe et Victor Hugo m’ont donnés d’un Djelal Eddin Roumi, j’ai toujours désiré de joindre à leur science les recettes que les Mesnevi peuvent garder du grand inspiré.

Eh bien ! l’heure est venue de ces initiations. Ayant touché pour quelques heures Alexandrie d’Egypte, nous débarquerons à Beyrouth. Alors commencera le plaisir de la nouveauté. Je verrai de mes yeux la sainte Byblos, les hauts lieux du Liban, les châteaux des Haschischins, Damas, toutes les villes de l’Oronte, Homs, Hamah la bourdonnante, Alep, Antioche, marraine des chrétiens, et, cheminant à travers les gorges du Taurus,