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temps de fonder une nouvelle église... » Et il ajoute : « Le temps presse ! » A-t-il bien achevé son enquête ? croit-il écroulées toutes les églises ? Dans le désarroi où le laisse un examen qu’il a mené trop vite et sans méthode, il se demande si la lumière ne viendrait pas de l’Orient slave. Il se l’est demandé : il s’est enfin répondu non ; la Slavie, en définitive, ne lui paraît pas mériter plus de confiance que la Germanie de Tacite. Alors ? Il montre l’Europe occidentale serrée, comme entre deux menaces, entre l’Europe orientale et l’Amérique, deux formidables portions de l’univers. Il montre les siècles à venir incertains entre la vie pastorale et le machinisme. Or, quel est donc le programme de la France ?

Il écrit, parlant de ses camarades, parlant de lui et des hommes de son âge : « Une patrie a fléchi entre leurs bras. Voilà tout ce qui nous reste. Ravagés par des destructions plus fatales qu’une guerre de notre temps, sans dieux ni maîtres, ceux-là étant morts, ceux-ci n’étant pas encore nés, nous n’avons que notre jeunesse. A quoi d’autre pouvons-nous croire ? Mais comme nous y croyons !... » Il y a là un accent de douleur, et d’orgueil douloureux, qui trouble et qui émeut, n’est-ce pas ?

Quel découragement, et après tant de courage !

Il m’est impossible de résumer tous les arguments de M. Drieu La Rochelle et d’y répondre. Ses arguments, du reste, sont, — même appuyés sur des faits qu’il y aurait à discuter, — de qualité sentimentale ; et, s’ils aboutissent au pessimisme que j’ai signalé, ils en dérivent aussi.

Le pessimisme de M. Drieu La Rochelle a de l’analogie, et je ne dis pas qu’il soit exactement le même, a de l’analogie pourtant avec celui des jeunes hommes qui, au lendemain des grandes guerres de l’Empire, s’attristaient et inventaient le « mal du siècle, » une mélancolie certes sans lâcheté, plutôt le déplaisir de l’énergie incertaine de son emploi. Rappelez-vous les pages célèbres de la Confession d’un enfant du siècle et de Servitude et grandeur militaires : sous la Restauration, disent Musset et Vigny, la France avait remis son épée au fourreau ; toute une jeunesse, en qui frémissait encore l’ardeur des combats, ne sut que faire de son entrain. Les camarades de M. Drieu La Rochelle se plaignent de n’avoir plus qu’à jouer les Cincinnatus. Un extraordinaire sursaut de l’énergie ne s’apaise pas au commandement. Mais, de la génération de Vigny et de Musset à celle de nos jeunes contemporains, on voit aussi la différence. Elle tient à l’époque et tient à eux ; elle est toute à l’honneur de nos contemporains,