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politique. Mais, quant aux sentiments, rappelons-nous la volonté du combattant : la paix digne d’une si grande guerre ! Le combattant n’estime pas la paix que l’on a consentie analogue à son vœu.

Pourquoi cette paix, inégale aux exploits qui l’ont précédée ? M. Drieu La Rochelle n’incrimine pas les signataires de la paix et n’entre pas dans une polémique où je n’aurais qu’à l’abandonner. Il attribue la paix imparfaite à un malheur qu’il signale sans réticence : nous n’avons pas remporté la victoire tout seuls ; nous avons eu besoin d’alliés. Attendez-vous à de violents propos : « C’est ainsi que, malgré la part capitale que nous avons prise dans cette guerre par la tête et par le poing, nous ne pouvons dire que c’est nous qui avons vaincu l’Allemagne. Dès lors, ne pouvant jeter cette affirmation qui seule aurait compté dans la balance du jugement du monde, nous retombons à une mesure fort médiocre. Nous nous perdons dans la foule des vainqueurs de l’Allemagne et la victoire saisie par vingt bras échappe facilement à une emprise aussi maladroite. Déçus par cet événement où nous avions mis tout nous-mêmes et d’où nous espérions, en le menant à bien, tirer des compensations, des récompenses infinies, en ouvrant les yeux maintenant sur l’état du monde, nous devons nous attendre à une déception plus large encore. » Et pourquoi n’avons-nous pas remporté la victoire tout seuls ? Parce que nous n’étions pas assez nombreux : c’est que les Français, depuis un demi-siècle, ne font point assez d’enfants. Voilà « le crime de la France, » crime qu’elle a commis contre elle-même.

M. Drieu La Rochelle insiste ; et, sur ce point, il a raison. Sur d’autres points encore, il a raison. Mais il en abuse, quand il aboutit à un affreux pessimisme.

Son pessimisme s’étend loin dans l’avenir. Ne l’invitez pas, d’ailleurs, à se tenir dans le champ moins vaste et plus tangible de la réalité proche et environnante ; il vous répond : « Nous ne pouvons nous contenter de l’immédiat ! » Il a raison, s’il entend que la chaîne des événements se déroule avec rigueur, en ce monde, et qu’il faut avoir prévu les épisodes qu’ensuite on appelle trop facilement les hasards. Il a tort, s’il se lance à une investigation de prophète triste.

Et c’est ce qu’il fait. Il devine avec chagrin ; s’il ne devine pas, il se désespère de n’entrevoir que ténèbres, et inquiétantes.

Le monde moderne, dit-il, est éperdu ; l’on n’y voit pas « une lueur spirituelle. » Qu’y voyez-vous ? Des ruines, et de toute sorte : ruines morales et intellectuelles ; les âmes ne sont pas moins dévastées qu’une bourgade en décombres du Nord de la France. » Il est