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vingt à quarante ans. Ce sont les combattants. Et il repousse, comme s’il n’avait rien à leur dire, les « vieillards : » il n’avait à leur adresser qu’un reproche ; tandis qu’avec les jeunes gens il partage l’orgueil d’avoir éconduit une idéologie désastreuse. Tout cela est marqué dans ses livres, et durement. L’on peut ajouter à ce témoignage d’un sentiment très vif, et qui sépare deux générations, ce passage (que j’ai cité le mois dernier) d’un livre de M. Alexandre Arnoux : l’apologue d’un fils de roi, les épaules chargées du cadavre de son père ; il est sur le point de succomber sous le fardeau du passé mort, lourd fardeau ! mais il le secoue avant de courir à ses plus heureuses destinées. La génération de la victoire se plaint, avec amertume et rancune, d’avoir été menée à la bataille aux accents d’une chanson désolante ; elle se vante de chanter sur un autre ton.

Voilà ce qu’il faut qu’on ait lu dans les trois premiers ouvrages de M. Drieu La Rochelle avant d’aborder Mesure de la France, qui est un livre de colère.

Eh ! quoi, les « petits-fils de la défaite, » à présent les vainqueurs, ne sont-ils pas contents de la victoire ? Ils ne le sont pas ! C’est un fait, qui surprend peut-être, qui fâchera plus d’un « vieillard : » c’est un fait.

Vieillard ou non, vous ne lirez pas sans chagrin des lignes telles que celles-ci : « Qu’importe cette victoire du monde en 1918, cette victoire qui a failli, cette victoire qu’on a abandonnée avec honte comme une défaite, cette victoire du nombre sur le nombre, de tant d’empires sur un empire, cette victoire anonyme ? On a renvoyé les Français à la charrue jouer les Cincinnatus. » Il faut, pour qu’elles n’excitent pas la réaction d’une autre colère, égale à celle qui les anime, que ces lignes soient d’un combattant, d’un vainqueur et du combattant victorieux qui tout à l’heure opposait au Sedan des vieillards la Marne et le Verdun des jeunes. Il dénigre une victoire, mais la sienne : écoutons-le.

La terrible phrase est riche de mots et d’idées, ou de faits qui sont devenus des idées.. L’on y sent aussi la surprise déconcertée d’un élan qui n’est point allé jusqu’au but qu’il entrevoyait, d’un élan qui fut arrêté. Ces Français, qu’on a renvoyés à la charrue ne croyaient ni la guerre achevée ni la victoire pleinement gagnée. Ici se pose, — et l’auteur n’y fait que cette allusion, mais brutale, — une question qu’il ne m’appartient pas d’examiner ; car je me borne à l’analyse des sentiments que la littérature interprète : convenait-il de mener la guerre au delà du point où elle eut son terme ? C’est affaire de stratégie et de