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vivante, — d’une fougue juvénile et d’une idéologie méditée. Ce fut, aux premiers temps de la guerre, la chance de toute une génération vigoureuse et pensive. Comment s’est maintenue, au cours de la guerre, l’entente, pour ainsi dire, du corps et de l’esprit : voilà l’histoire intime de la guerre. Et après la guerre ? voilà de l’histoire encore et le problème de l’heure présente.

Les soldats de toutes nations, venus de partout, amis et ennemis, ont formé un étrange pays, séparé des nations : le pays des combattants. Autour d’eux, il n’y avait plus rien. Ils étaient le pays de la vie, où s’exaltait la vie jusqu’à son paroxysme, la mort. Il a fallu aimer la vie et son paroxysme, la mort : terrible amour et qui prend cet accent pathétique : « O mes frères, ô mes tendresses ! vous êtes couchés dans la terre que je connais. Je l’ai piochée, contre elle j’ai dormi ; de son pli je me suis élancé au jour de l’assaut et je l’ai pénétrée de mon sang. Oui, un peu de mon sang est déjà mêlé avec le vôtre, dans la terre éventrée que le temps refermera sur nos obscures semences. Un peu de mon sang : gage que vous tenez de moi ; mais nous savons que je reviendrai bientôt et nous serons ensemble... » Il est dans un lit d’hôpital : eux, sous la terre. Il reviendra : « Je creuserai ma mine jusqu’à vous et je me coucherai entre vous, au jour qui m’est marqué. Vous n’êtes plus de ce monde ; je ne suis plus de ce monde... » La grande rêverie, funèbre et ardente, continue et se termine ainsi : « Le don sans retour, sans le retrait avaricieux d’une arrière-pensée. Dans cette Champagne, province de la mort, comme nous étions bons et véridiques ! Pas de résignation, mais une acceptation qui s’avance fièrement. Nous acceptions la vie, de toute notre chair et de toute notre pensée... » Or, la vie, n’est-ce point ici la mort ? Mais oui ; et, l’une et l’autre, confondues comme ceci : « Quelle profonde communion de toutes les parties de notre être, dans cette obéissance à la vie et à la mort, dernier commandement de la vie !... » Ces mots, qui ne font ni un vers ni seulement une phrase, et qui ne sont qu’une plainte évasive, « douceurs brisées... » tremblent à la fin du poème ; et c’est tout.

Le livre déroule une ample et succincte méditation de la guerre, — succincte de mots, elliptique même, ample dépensée, — un peu lente, avec majesté, monotone aussi, où apparaissent pourtant les différents thèmes de la guerre ; les sensations deviennent des idées... Un choc : n’était-ce pas la mort, qu’avait devant lui le soldat ? Il l’a heurtée, dans le moment que triomphait sa force. La vie et la mort ont coïncidé. La vie et la mort ne sont pas une antinomie... La