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de célébrer une de ses filles d’honneur, Mlle de Surgères. Ronsard obéit, et compose la suite immortelle des Sonnets à Hélène. Un jour, vaincue par tant de respect et de beaux vers, Hélène avoue :


Je vous aime, Ronsard, par seule destinée,
Le ciel à vous aimer force ma volonté...


Il fallait entendre M. Donnay conter d’une voix pleine d’inflexions, de volupté, d’émotion et de mélancolie, pris lui-même à la beauté des vers et de l’aventure, touché pour Ronsard d’une sympathie fraternelle, et fâché seulement que M. de Nolhac, plus cruel qu’Hélène, l’ait trouvé vieux à cinquante ans. Tout le discours a été de ce ton. C’est une chose charmante que d’être né pour faire des comédies. M. de Nolhac est devenu tout de suite un personnage de M. Donnay. Je veux dire que M. Donnay l’a suivi à la Cour des Valois, en Italie, chez Renan, chez Pétrarque, à la Bibliothèque vaticane, où il le voit qui conquiert Mgr Ciccolini. Il le voit, vous dis-je, « ce jeune Français si laborieux, si heureux dans ses recherches, si délié, doué d’un flair subtil, souple comme un Romain, opiniâtre comme un Auvergnat, enjôleur comme un poète. » Il le voit avec sympathie, avec amusement, et quelquefois avec étonnement. Le goût de M. de Nolhac pour la paléographie surprend le poète de Phryné et d’Amants. La ferveur de son érudition lui semble un peu comique, et devant un gros volume, assis à la Table des Matières, il se demande : « Comment peut-on digérer tout cela ? »

Mais M. de Nolhac s’en va promener à Tivoli, et voilà M. Donnay repris par l’admiration et par l’envie. Les noms mêmes des bibliothèques le font rêver. Il est assez rare qu’on rêve à l’Académie. Mais M. Donnay poursuit ses enchantements et parle de l’histoire avec autant de grâce que si elle était une erreur. Le voici maintenant à Versailles. Il taquine un peu M. de Nolhac sur sa préférence pour Mme de Pompadour, et l’on voit bien qu’il ne prend pas au tragique l’état de conservateur. Le public sourit, et ne paraît pas s’apercevoir que cette légère ironie répandue sur de graves travaux a un sens calculé : elle donne à entendre que, dans la pensée de M. Donnay, l’Académie a reçu M. de Nolhac non point parce qu’il a découvert un manuscrit de Pétrarque et publié des textes latins de Ronsard, mais pour la gentillesse de son esprit, et parce que cet humaniste, amoureux de la poésie, est un de nos plus charmants écrivains.


HENRY BIDOU.