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du dieu Wagner lui-même. Tant y a que ces rhénans chantent fort bien et qu’ils sont très applaudis.

Mais voici Smeets qui escalade la scène et s’installe à un pupitre. Le silence se fait instantanément, profond, presque religieux. Cet homme, on le sent tout de suite, est un conducteur d’hommes. Il le sait. Il est tranquille, à son aise, un peu souriant, sans toutefois prendre l’air « avantageux » (pour parler comme l’aimable Charles Nodier). Conformément aux principes de l’art, sa voix reste d’abord assez basse, son débit assez lent, ses gestes très mesurés. Il s’échauffera peu à peu, il parlera plus fort, plus vite, ses mains, ses bras, ses jeux de physionomie, — c’est, ma foi ! presque un Français du Midi... — appuieront fortement son discours, et, dans sa péroraison, ardent, enflammé, quittant son pupitre, et s’avançant jusqu’à la rampe pour mieux s’emparer de son public, il va soulever l’enthousiasme, déchaîner à la fois les trépignements, les claquements de mains, les hoch ! et les bravos...

C’est un orateur. Un orateur, mais aussi un homme d’action : il l’a déjà prouvé, il le prouvera encore, n’en doutons pas, quand le moment viendra des décisives résolutions.

Quelle est sa thèse ? Celle que nous connaissons, celle que ses auditeurs habituels connaissent encore mieux et qu’ils ne se lassent pas, cependant, d’applaudir, parce qu’elle répond exactement à leurs sentiments intérieurs, à une mentalité profonde, atavique... « Nous n’avons rien de commun, s’écrie Smeets, avec cette Prusse dont on nous a imposé la maîtrise en 1815, sans jamais nous consulter. Qu’est-ce que ces gens-là ? Des métis de Wendes, d’Obotrites, de Finnois même et de Saxons, presque aussi barbares que ces sauvages idolâtres et qui habitaient encore des huttes en branchages à la fin du VIIIe siècle, quand nous, les Francs ripuaires, les Francs austrasiens, nous jouissions déjà depuis trois ou quatre cents ans de la civilisation latine, que nous nous étions assimilée, mêlant notre sang à celui des Gallo-romains. Nous n’avons donc ni la même origine, ni le même cerveau, ni la même culture ; — leur langue ? mais c’est la nôtre que nos chefs carolingiens les ont obligés à apprendre... — ni les mêmes aspirations, ni, pas davantage, la même philosophie et la même croyance religieuse, car nous leur laissons leur Fichte et cet Hegel qui alla mourir chez eux, et s’ils sont protestants luthériens, nous, nous sommes restés