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Et puis la question économique, celle des « intérêts, » toujours et partout bien près du premier rang :

« La Rhénanie est riche, dit Smeets. Tout le monde le sait ! Mais les Etats dont elle dépend, Prusse, Hesse, Bavière, l’exploitent sans vergogne. Le « Reich, » par là-dessus, dispose de ses impôts, — écrasants, — pour payer, dit-il, les réparations françaises ; mais, en réalité, il ne paie rien, tandis qu’il subventionne indirectement, — ne fût-ce qu’en ne leur réclamant pas les taxes sur la richesse acquise et sur les revenus industriels ou commerciaux [1], — toutes les entreprises des magnats de la rive droite ; tandis qu’il exécute et solde lui-même, là-bas, d’énormes travaux, chemins de fer, canaux, ports de mer et de rivière, et qu’il crée, au profit des industries d’État, — télégraphes et téléphones, par exemple, — les outillages les plus perfectionnés. Ne sait-on pas aussi qu’il favorise par tous les moyens, « participations » comprises, le développement de la flotte marchande [2], du cabotage, de la grande batellerie ? Et enfin, vous. Français, comment ne le voyez-vous pas (il est vrai que vos malheureux contrôleurs militaires sont lapidés partout...) ? le Reich, que vous avez laissé se prussianiser plus encore qu’il ne l’était avant la guerre, dépense follement pour reconstituer sa force militaire, son armement, son aviation, désormais libre, ses usines de gaz empoisonnés. Et toutes les formations militaires, avouées ou secrètes ; et tous les règlements qui n’ont en vue que l’offensive, comme en 1914 : et toute l’éducation de la jeunesse qui roule sur la nécessité de la revanche ; toutes les Universités, — celle de Bonn en tête, — où l’on enseigne ouvertement, comme dans les gymnases et les écoles primaires, la haine de la France ! Ignorez-vous donc tout cela, que nous savons, nous, de source certaine, puisque ça se passe sous nos yeux et que nos oreilles en retentissent... Etes-vous donc à la fois aveugles et sourds ?... »

Smeets s’échauffe. Qu’il soit convaincu, comment en douter ? N’a-t-il point, d’ailleurs, souffert pour ses convictions ? N’est-il pas menacé, traqué, plusieurs fois condamné, — sauvé, d’ailleurs, d’un internement de l’autre côté du Rhin, qui ne finirait probablement jamais, par notre haut-commissaire [3], dont il loue

  1. Assertion reconnue et expliquée par le « leader » du Temps du 6 janvier.
  2. 31 milliards de marks aux constructeurs et armateurs, depuis moins de trois ans.
  3. M. Tirard, toutefois, n’aurait probablement pas pu intervenir en temps utile si Smeets, appréhendé par des agents de la sûreté prussienne qui prétendaient l’emmener en automobile au delà du Rhin (l’enlèvement en automobile avait été déjà employé, on se le rappelle, à l’égard du Dr Dorten, en 1920), n’avait pas été énergiquement défendu par mes deux collègues, MM. Dontenville et Mallez. Ceux-ci agirent immédiatement auprès des autorités locales.