Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/671

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cresques. Au moment même où leur rabbin, Ysaac Nafuci, construisait pour le roi d’Aragon des astrolabes « bons et fins, » ces deux savants, « maîtres des mappemondes et des boussoles » du Roi, fabriquaient des cartes si parfaites que l’infant Jean s’écriait enthousiasmé : « Je n’en ai jamais vu de si belles. »

Mais voyez la tragique destinée des savants ! Abraham Cresques, dispensé de porter sur ses vêtements le signe infamant de la rouelle, est considéré par ses coreligionnaires comme un renégat. Une nouvelle faveur de l’infant d’Aragon fait dégénérer cette malveillance en animosité ouverte : et pourtant, l’autorisation d’ouvrir un bain public à leur usage dans son hôtel de la rue des Juifs à Majorque, leur est un bienfait. N’importe ! les bouchers juifs de Majorque refusent de livrer de la viande aux deux Cresques. Il faudra, en 1382, l’intervention personnelle du roi d’Aragon pour faire lever cette mise à l’index. Le père et le fils, Abraham et Jaffuda, travaillaient à ce moment-là à de nouvelles mappemondes, dont l’une était destinée au roi de France Charles VI.

En 1373, date du premier inventaire de la Bibliothèque royale, la Librairie de Charles V dans la Tour du Louvre possédait déjà le célèbre Atlas catalan aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale. Ces ais de bois recouverts de cartes géographiques enluminées comme de vrais tableaux, sont précisément dans la manière d’Abraham Cresques. Il fabriquait encore de ces tableaux géographiques, quasdam tabulas in quibus est figura mundi, quand la mort le surprit en 1387, le compas à la main.

Quintessence des connaissances géographiques de l’époque, pour l’Asie comme pour l’Afrique, l’Atlas catalan de Charles V relève la plupart des étapes qui vont du Tafilelt au Sénégal et au Sokoto ; le roi du désert, le Touareg voilé du litham et le roi des mines d’or, Moussa Ier, Musameli, l’un à méhari, l’autre assis sur son trône, couronne en tête, sceptre en main, se font face dans un tableau saisissant de vie. La ligne d’étapes figurée par Abraham Cresques à l’Ouest de Touggourt (Tacort) et à l’Est de Tameskroud (Mascarota), comprend les oasis de Sidjilmassa, Tabelbala et du Touat (Vadia), la saline de Teghâzza, Tombouctou (Tenbuth) parfaitement figurée à quelque distance au Nord d’un large fleuve, puis Gao (Geugeu), Niamey (Magma) et le Sokoto (Zogde). Do l’autre côté de Tombouctou, dans le Sudtome