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et les langues des Francs, des Espagnols et des Slaves. De l’Ouest à l’Est du monde, voyageant tantôt par terre, tantôt par mer, ils emmènent eunuques, esclaves, femmes, jeunes garçons, peaux de castor, brocart, pelisses de martre, pelleteries et épées, et rapportent des Indes et de la Chine musc, bois d’aloès, camphre et cinnamone. D’autres s’embarquent en Espagne pour le Sous-el-Aksa, » au Sud du Maroc.

Un autre facteur avait renforcé les relations des Juifs de Catalogne et des Baléares avec l’Afrique. Leurs connaissances linguistiques en avaient fait, au XIIIe siècle, les traducteurs jurés, les Alfaquinos, des rois d’Aragon pour la langue arabe et parfois leurs ambassadeurs à Tunis, Fez, etc. Ils avaient été chargés par surcroît de traduire en catalan des « livres sarrazins, » tels que des traités d’astronomie.

Or, à Montpellier, qui dépendait également du roi d’Aragon, à Avignon et à Marseille, il y avait une telle activité scientifique parmi les Juifs qu’un savant du XIIIe siècle a pu écrire : « Il n’y a rien, en fait de mathématiques, qui n’ait été traduit en hébreu. » Auteur d’observations sur la déviation de l’axe terrestre, Don Profiat, de son vrai nom Jacob ben Makir Tibbon, avait inventé un « quadrans judaicus. » Moses ben Tibbon avait traduit Euclide ; Samuel ben Iehouda ben Meschullàm, de Marseille, révisait en 1336 sur l’original arabe un abrégé de l’Almageste. Et un Juif de Bagnols-sur-Cèze, — petite ville du Gard, — aussi familier avec la trigonométrie qu’avec l’astronomie, dotait les voyageurs d’un astrolabe portatif, imité à vrai dire du Dioptre d’Hipparque, règle graduée le long de laquelle glissait un curseur pour la visée des autres et de l’horizon. Dans l’adaptation latine qu’il composa à la demande du pape Clément VI en 1342, Lévi Ben Gerson avait donné à son invention le nom poétique de Révélateur des profondeurs. Marins et voyageurs l’appelèrent plus simplement le bâton de Lévi ou de Jacob : ils s’en servaient encore au XVIIe siècle.

Le catalogue de vente d’une riche bibliothèque hébraïque à Majorque, en 1375, prouve que les Juifs des Baléares n’ignoraient rien des travaux de leurs coreligionnaires de France et qu’ils étaient à leur école en fait de géographie et d’astronomie.

Parmi les acquéreurs de ce genre d’ouvrages, figuraient deux Juifs, le père et le fils, qui allaient donner à la cartographie majorquine un éclat incomparable : Abraham et Jaffuda