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mieux que frapper l’imagination par un faste prodigieux. Si quatre-vingts charges de poudre d’or emportées pour ses frais de voyage, si cinq cents esclaves porteurs chacun d’une lourde canne d’or et douze mille jeunes gens vêtus de tuniques de brocart et de soie provoquèrent une sensation énorme sur son passage, Moussa Ier ne se borna point à faire de l’ostentation. Il ramenait un architecte espagnol, qui allait doter de beaux monuments les capitales de l’immense Empire mandingue composées jusque-là de simples huttes couvertes de paille.

L’architecte était un poète de Grenade appelé Abou-Ishac-Ibrahim-es-Sahéli, plus connu sous le nom de Toueïdgine. Il devait mourir à Tombouctou en 1346. A l’heure où, dans sa ville natale, s’achevait la merveille de l’Alhambra, l’architecte espagnol construisait au Sud de la boucle du Niger, à Gao, une mosquée en briques au minaret pyramidal ; il en édifiait une seconde, la Grande mosquée, à Tombouctou, et l’on se souvenait encore au XVIe siècle qu’un édifice en pierre y avait été élevé « par un maçon de Grenade. »

Mais son chef-d’œuvre fut le palais royal de Màli, le rival du château qui avait été orné de sculptures et de peintures en 1116 dans la ville de Ghana. Une magnifique salle d’audience, revêtue de plâtre et ornée d’arabesques aux couleurs éclatantes, avait une coupole à double rangée de fenêtres cintrées d’or et d’argent ; une tenture égyptienne glissait le long du grillage des croisées ; les rideaux des fenêtres s’ouvraient ; le Sultan prenait place sous la coupole. Un orchestre d’instruments en or et en argent éclatait en sonorités violentes ; les oliphants sonnaient ; et le prédicateur montait en chaire pendant qu’on amenait deux béliers pour conjurer le mauvais œil. Des poètes, des griots, entraient emplumés comme des moineaux et masqués d’une tête de bois à bec rouge. Leur chef gravissait l’estrade, prêtait hommage et donnait l’accolade au Roi en disant : « Fais beaucoup de bien, afin qu’il soit rappelé après ta mort. »

Les arabesques, du palais de Mâli, l’épervier d’or du parasol royal, les instruments en or et en argent, les vitraux supposent des artistes. Et il est probable que l’architecte de Grenade n’était point le seul maitre d’art européen employé à la Cour Mandingue. Une induction en fait une quasi-certitude.

Si du Haut-Niger nous passons à la vallée du Haut-Nil, un curieux parallélisme montre que les nègres éthiopiens faisaient