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Chine et que le sultan de Fez avait chargé en 1352 d’une mission au Soudan. La caravane des marchands de Tlemcen et de Sidjilmassa à laquelle il s’était joint, traversa Teghâzza, puis s’enfonça dans un désert où abondaient, parait-il, les truffes et les poux : truffes bien hypothétiques, encore que des géographes arabes leur donnassent une taille assez forte pour servir de terriers à lapins ; mais les poux étaient bien réels, à telle enseigne que les voyageurs portaient au cou, comme insecticide, des fils enduits de mercure.

A la halte de Tàçarahlà qui était un point d’eau à sept journées d’Oualata, un messager fut dépêché de l’avant avec les lettres des voyageurs désireux de retenir un gite. Quelques nuits plus tard, — car la caravane marchait la nuit, — des lueurs trouaient les ténèbres : c’étaient des guides qui venaient au-devant d’elle. Le vice-roi d’Oualata, au cours de l’audience accordée sous un auvent aux Maghrébins, ne daigna leur parler que par la voie d’un interprète, ne cachant point la piètre estime où il les tenait : « Ce fut alors, écrit Ibn Batoula, que je regrettai de m’être rendu dans le pays des nègres, à cause de leur mauvaise éducation et du peu d’égards qu’ils ont pour les blancs. » Hôte d’un Marocain de Salé, le grand voyageur séjourna sept semaines à Oualala, où son impression fâcheuse s’atténua au cours des nombreux festins que lui offrirent les Messoùfah berbères de l’endroit, élégamment vêtus d’habits importés d’Égypte.

Pourvu d’un guide local, Ibn Batouta s’achemina vers Mali, à vingt-quatre journées de là, en cherchant abri sous des arbres séculaires dont l’un, carié à l’intérieur, était assez gros pour servir d’atelier à un tisserand. Au Soudan, tout lui était nouveau, depuis la monnaie en morceaux de sel, colifichets de verre et clous de girofle, jusqu’aux fruits gros comme des concombres qui pendaient aux arbres et jusqu’à l’huile d’arachide employée comme friture et comme enduit.

Dans le voisinage du Nil des nègres, Ibn Batouta traversait en bac la rivière Sansarah. Dix milles plus loin, il touchait au but, où une lettre expédiée d’avance lui avait retenu un gite dans le quartier des blancs. Il était à Màli, capitale du royaume mandingue, au point d’intersection des trois civilisations soudanienne, égyptienne et maghrébine avec la barbarie. A côté de nègres anthropophages qui ornaient leurs oreilles de grandes