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une plaine inculte du Tafilelt où les Berbères se réunissaient à dates fixes pour commercer, ceinte de murailles aux assises de pierre et au couronnement de briques, pourvue de portes de fer, elle était devenue la capitale du Fatimite Obéïd Allah le Mahdi. D’une richesse de bon aloi, malgré leurs palais et leurs villas superbes qui bordaient la rivière du Ziz, ses habitants n’avaient point l’ostentation de leurs voisins d’Aghmât-Warica, qui étalaient leur fortune en érigeant, à droite et à gauche de leurs portes, autant de soliveaux qu’ils possédaient de fois la somme de 4 000 dinars. Des chiens engraissés comme des porcs, des lézards, du blé et des dattes, « qui surpassaient en douceur tous les fruits, » donnaient aux femmes le noble embonpoint si prisé au Maghreb. Lors de la crue du fleuve, un réseau de canaux coupés de petits ponts assurait une irrigation abondante qui permettait de grosses récoltes de blé, de coton, de cumin et de henné.

Ainsi opulente par elle-même, Sidjilmassa avait par surcroît une situation privilégiée. Au débouché d’un col de l’Atlas, elle était au nœud des communications du Maghreb avec le Soudan et le Hoggar, du monde occidental avec le pays des Noirs et des Touaregs. Le voyageur Ibn Batouta y rencontrera même le frère d’un musulman qu’il avait vu en Chine.

Et c’est ainsi que Sidijlmassa devint le cerveau du désert, comme Touggourt, le pays des dattes, en était le « ventre, » comme Tombouctou, à l’intersection des pays nègres et blancs, en était le « nombril. » L’histoire d’une de ces puissantes maisons de commerce arabes, qui avaient partout des représentants, le prouve éloquemment. Cinq frères Al-Makkari, originaires de Tlemcen, avaient formé une curieuse association sur la base d’un partage égal des bénéfices : deux des frères étaient restés à Tlemcen, d’où ils expédiaient aux deux cadets, établis à Oualata, dans le Sud du Sahara, les marchandises d’Europe en échange de l’ivoire et de la poudre d’or. Et c’est à Sidjilmassa qu’était le chef de la maison, celui qui tenait le fléau de la balance commerciale et transmettait à ses associés les cours en hausse ou en baisse. Ces Al-Makkari, dont l’un se trouvait, en 1352, à la Cour du roi des Mandingues, ne se contentaient pas de drainer vers leurs multiples comptoirs les produits de l’Afrique : ils avaient eu l’ingénieuse idée d’organiser avec guides et escorte la traversée du désert.

Cinquante et un jours après le départ du Tafilelt, des vols