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En juin et juillet, la correspondance se ralentit : Mme Carraud laisse Balzac sans nouvelles ; il ne sait où lui écrire : à Frapesle, à Angoulême ? Lui-même est aux prises avec son éditeur Mame qui lui a intenté un procès à propos du Médecin de campagne. Il met la dernière main au troisième dixain des Drolatiques. A la fin de juillet, inquiet du silence persistant de son amie, il lui écrit :


Je n’ai point de vos nouvelles, je suis inquiet. Il m’a été impossible de vous écrire en vous envoyant à Angoulême, où je vous crois, mon deuxième dixain des Contes drôlatiques. Je vous en prie, si vous m’aimez, faites-moi écrire deux mots sur vous, si vous êtes trop fatiguée ou trop souffrante pour écrire.

Le Médecin de Campagne est achevé. D’ici à huit jours, vous en recevrez un exemplaire, si cela m’est possible, car il va être vendu par un libraire commis par le tribunal saisi du procès dont mon livre est l’objet.

En attendant, tout le monde me vole et me pille. La vie de Napoléon racontée dans une grange par un soldat à des paysans a été l’objet d’une spéculation. Voici vingt mille exemplaires qui s’en sont vendus à mon détriment par des gens qui ne m’ont ni nommé, ni indiqué mon livre. Les poursuivre, obtenir des dommages-intérêts, c’est me salir ; mais, en attendant, l’on me ruine. Jamais je n’ai été ni si tourmenté, ni si inquiet. J’ai fait des efforts extraordinaires pour finir ce livre, et son essor est arrêté par un ignoble procès, dans lequel je dissipe des heures précieuses.

Et pas une nouvelle de vous, vous qui avez le pouvoir de me consoler !

Allons, adieu. J’ai eu à peine le temps de vous écrire ce peu de lignes. Elles vous diront que je suis fidèle à mes amitiés, que vous occupez souvent ma pensée, que le désir de plaire à une âme d’élite comme l’est la vôtre m’a soutenu dans mes travaux, et quand vous lirez le Médecin de Campagne, vous saurez pourquoi j’ai gardé le silence pendant quelques jours. Vous reprendrez quelques pleurs versés par l’auteur qui vous aime, et vous reconnaîtrez le nombre de nuits studieuses et d’heures dépensées dans un livre qui m’a emporté de la vie, et trop de sentiment peut-être.

Je vais commencer le dixain, où il y a des travaux effrayants, puis achever mon roman du Privilège.

Encore adieu. Rappelez-moi à l’amitié du commandant, et pensez que vous êtes toujours dans le cœur de celui qui vous