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faire trouver six heures de lucidité parfaite par jour, avec une seule lasse de café ! Et calculez bien, cher, que vous ne travaillez pas davantage, parce que votre organisme a d’impérieux besoins auxquels on ne peut le soustraire ; et six heures de bon et profitable travail par jour, privé de ces atonies qui vous désolent, cela aurait un résultat immense. Venez, Honoré, et si vous vous jetez avec confiance entre nos mains, promettez monts et merveilles à vos tyrans d’éditeurs.

Adieu, je souffre horriblement quand j’écris ; grâce, si je suis incompréhensible ; vous avez de l’esprit pour deux. Garraud vous veut ici ; Auguste et moi vous désirons comme complément d’existence. Adieu.

ZULMA.


Enfin Balzac se décide à interrompre son labeur, et vers le milieu d’avril débarque à la Poudrerie : il devait y séjourner plus d’un mois. Sans doute fut-il convié à quelqu’une de ces réunions provinciales qu’il a si bien dépeintes au début d’Illusions perdues et dont Mme de Saint-Surin était vraisemblablement l’étoile. Cette noble dame, alors âgée de trente-trois ans, jouait les muses romantiques et nous savons qu’après avoir mis au jour en 1827 le Bal des Élections, puis en 1830 le Miroir des dames, Scènes du monde, elle venait de régaler ses compatriotes d’une Isabelle de Taillefer, comtesse d’Angoulême, reine d’Angleterre. Le mari, directeur de l’École centrale d’Angoulême, contribuait plus modestement à la gloire du ménage par une Glycère, idylle, sortie en l’an III des presses angoumoisines. Il devait en 1840 ajouter à sa couronne un dernier fleuron, le Petit mémoire contre de longues vexations, et nous révéler ainsi son cœur d’époux malheureux. Puis, quittant le salon de la Muse acariâtre, Balzac dévalait par les rues d’Angoulême, commandant chez Grobot, le traiteur, un bon pâté pour son ami Pixérécourt, s’arrêtant à contempler l’enseigne du pharmacien Evangelista, bavardant au milieu de la route avec le pauvre journalier Séchart, fils de Séchart, dit Chardon sec, s’emplissant les yeux et les oreilles de tout ce qui se voit et s’entend. A la fin de mai, Balzac quitte la Poudrerie, regagne Paris, tandis que Carraud S’en va, en compagnie d’Ivan et de Borget, visiter à Limoges Mme Nivet, sa sœur. Une fois de plus le service de porcelaine va rentrer en scène ; le 21 mai, Borget et Mme Carraud écrivent à Balzac :


Mon cher Honoré, après deux jours de route, vos trois amis sont arrivés à Limoges. Une rechute de Mme Nivet, qui l’empêche de nous accompagner, a engagé Mme Carraud à rester